« la Douzième Bataille d’Isonzo », de Howard Barker, la Condition des soies à Avignon

la Douxième Bataille d’Isonzo © Benoît Deffrennes

Tout sauf banal

Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups

Peut-être hésitez-vous, perplexe, devant les centaines de comédies plus ou moins interchangeables qui remplissent le catalogue du Off. Peut-être même commencez-vous à penser comme moi que notre théâtre est malade de comédie et que ces rires forcés sont un symptôme inquiétant de notre époque. Une idée : et si, pour changer, vous alliez voir une tragédie ?

Entendons-nous : les pièces de Barker ne sont pas des tragédies au sens classique du mot. Ce sont des aventures de l’esprit, produites par un auteur à l’écriture exigeante, qui explore toute la palette des émotions humaines et accorde la plus grande place à l’imagination. Quoi de plus improbable, en l’occurrence, que les noces de deux aveugles : un vieillard et une adolescente ? L’impossibilité de voir l’objet de son désir va faire naître chez les personnages les plus brûlants aveux, les plus poétiques exaltations.

La salle ronde de la Condition des soies, avec ses murs de pierre brute, est le cadre idéal pour accueillir la création de Camille Carraz et Alain Cesco‑Resia. L’espace scénique devient une arène où les protagonistes se livrent à leur joute amoureuse. Deux chaises de fer, des lumières savamment distillées. Et surtout les corps et les voix de deux comédiens en pleine possession de leur art, dont le jeu très maîtrisé est fidèle à l’esthétique non naturaliste de l’auteur. Sans doute ont-ils eu raison de s’interdire d’outrer les attitudes supposées d’un non-voyant. Robe noire très décolletée et couronne virginale pour l’une, béquilles pour l’autre : leur performance sonne juste.

Le théâtre de Barker est un théâtre lyrique, et sa langue n’hésite pas à mêler images poétiques et obscénité. C’est aussi un théâtre qui dit le corps et le montre. La tragédie d’Isonzo, qui se marie pour la douzième (et dernière) fois, c’est qu’il ne peut pas voir la troublante Tenna, qu’il aime. Le corps de la jeune mariée devient le centre focal de la pièce, alors même que son époux ne peut suivre son dévoilement progressif que par la pensée. Comme le dit le texte, la nudité « C’est de la douleur / C’est de la peur / C’est de la terreur ». Cette peur, Tenna finit par la surmonter, et jamais sans doute nudité a-t-elle été moins gratuite sur une scène.

Vertige et inconfort du spectateur de voir ce que les personnages ne voient pas. Fascination érotique aussi, qui va crescendo. Là réside sans doute l’une des principales réussites de la mise en scène de Camille Carraz et Alain Cesco‑Resia. Puisque dans cette « bataille » si sensuelle de mots et de gestes, le désir ne passe pas par le regard, tout ce qui entoure les personnages (pieds des chaises, canes d’Isonzo) se trouve mystérieusement érotisé. Les divagations d’Isonzo sur la couleur supposée des dessous de Tenna mettent le spectateur en état de tension, et le seul fait de voir l’actrice croiser ou décroiser les jambes devient alors une aventure. Une expérience extrême, comme je les aime. 

Fabrice Chêne


la Douzième Bataille d’Isonzo, de Howard Barker

Mise en scène : Camille Carraz et Alain Cesco‑Resia

Avec : Camille Carraz et Alain Cesco‑Resia

Lumières : Henri Talau

Photo : © Benoît Deffrennes

La Condition des soies • 13, rue de la Croix • 84000 Avignon

Réservations : 04 32 74 16 49

Du 12 au 31 juillet 2009 à 13 h 55

Durée : 1 h 20

13 € | 9 €

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