À ne pas oublier
Par Maja Saraczyńska
Les Trois Coups
De nombreux spectacles durant ce Off 2008 cherchent à puiser leur genèse dans cette Histoire douloureuse du xxe siècle, à rendre hommage aux Justes et à faire refluer vers nos mémoires les évènements des années quarante… Parmi toutes ces créations risquées et ambitieuses, celle de Cécile Canal est sans doute une des plus originales et des plus remarquables.
Comment parler de la guerre sans tomber dans le pathétique ? Comment la théâtraliser et la porter sur scène sans artifices ? Dans La guerre n’a pas un visage de femme, Cécile Canal semble trouver un juste milieu. Peut-être parce que cette comédienne, metteuse en scène et scénographe s’intéresse avec la même intensité à l’aspect artistique qu’au côté technique de ses créations. Cette artiste accomplie et engagée nous offre ainsi un spectacle – fruit de longues recherches, d’une passion pour le Théâtre et pour l’Histoire. Et d’une grande sensibilité humaine, avant tout.
Passionnée par l’adaptation des œuvres littéraires à la scène et par les formes monologuées, Cécile Canal choisit et adapte quelques témoignages de femmes soviétiques envoyées au front pour combattre l’ennemi nazi. Ce n’est qu’une infime partie de l’ouvrage de Svetlana Alexievitch, qu’elle met en scène en hommage à cet auteur et journaliste biélorusse, injustement méconnue du grand public. Par là, elle relève le défi de nous montrer un aspect inconnu de la guerre, tout en le traitant différemment.
Elle devient ainsi toutes ces femmes, infirmières, cuisinières, « femmes de guerre », mais aussi – ou avant tout – sapeurs, tireuses d’élite, aviatrices… C’est une comédienne qui va à la rencontre de l’œuvre et de tous ses personnages-témoins : elle ne raconte pas leur histoire, mais l’incarne, et cela jusqu’au bout. Jusqu’aux limites du surjeu et du caricatural. Afin de marquer davantage le passage d’un personnage à l’autre, afin de puiser au plus profond des souvenirs douloureux, elle passe de l’autre côté, déforme la réalité scénique, et se laisse habiter par les témoignages des autres.
Cette comédienne – mémoire vivante de l’Histoire – ne choisit jamais de formes faciles. Elle est toute seule sur scène, accompagnée uniquement par ces voix enregistrées de femmes qui trouent l’espace, par ces bribes de phrases qui s’installent là pour illustrer ces histoires. Une belle et touchante performance de comédienne, qui prend possession de l’espace et exploite au mieux chaque endroit de la scène, vêtue de rouge, de noir et de blanc. Autant de symboles de la guerre, autant de couleurs issues d’un rêve ou d’un cauchemar.
La Cie Création richesse et sécurité d’emploi signe un beau et émouvant témoignage, qui se doit de « parler à nouveau de cette autre guerre que, nous, Français, avons de plus en plus souvent tendance à oublier ». ¶
Maja Saraczyńska
La guerre n’a pas un visage de femme : je me rappelle encore ces yeux, de Svetlana Alexievitch
Cie C.R.S.E. (Création richesse et sécurité d’emploi) • 9, allée du Pallagourdi • 66400 Céret
Contact en Île-de-France : C.R.S.E. – Cécile Canal • 25, rue Condorcet • 93100 Montreuil
01 42 87 48 28
Librement adapté, décoré, mis en scène et interprété par : Cécile Canal
Direction d’acteur : Patrick Forian
Son : Benoit Cinquin
Lumières : Elias Attig
Voix : Svetlana Bragina, Elena Roussina, Nelly Pézelet, Delphine Kéravec, Marie‑Émilie Michel, Christèle Gou, Anne Gauthey, Christine Maurelle, Hélène Daurel, Gwenn Cariou, Marie Gagne, Claire Tatin, Leslie Ménahem, Valérie Gosse, Aline Boone, Valérie Martinet, Clémence Laboureau, Sophie Raive, Nadège Béchara, Isis Philippe‑Janon, Karine de Lattre, Mathilde Rosale, Mylène Larchevêque, Joëlle Champeyroux, Naïsiwon el‑Aniou
Assistant à l’enregistrement : Naïsiwon el‑Aniou
Le Magasin • 31, rue des Teinturiers • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 86 11 33 | 04 90 85 23 23
Du 10 juillet au 2 août 2008, jours pairs, à 13 heures
Durée : 1 h 10
15 € | 10 €