« La Vie »… n’a rien d’un long fleuve tranquille
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Le Québec fait son cirque ! D’octobre 2011 à janvier 2012, Paris accueille non pas un, non pas deux, mais trois cirques. Le Cirque du Soleil présente Corteo dès le 4 novembre 2011 sous le grand chapiteau, de l’île Séguin à Cirque en chantier (Boulogne-Billancourt), tandis que le Cirque Éloize est à l’affiche du Théâtre national de Chaillot du 24 décembre 2011 au 29 janvier 2012. De bien beaux cadeaux de fin d’année ! Mais, pour l’heure, goûtons aux audaces des 7 Doigts de la main, autre fameuse compagnie de cirque canadienne qui propose deux spectacles à la Grande Halle de la Villette, avec, pour commencer, « la Vie », cirque carrément mortel.
Retour en force pour cette compagnie dont nous avions apprécié la grâce juvénile de Traces. La Vie, présenté comme spectacle de la maturité, présente l’existence terrestre sous des aspects plus sombres : tristesse, démence, douleur et dépravation. Car la vie n’est-elle pas un long fleuve tranquille ? Ici, en tout cas, accident d’avion et histoires d’amour tournent à la catastrophe. Pourtant, la Vie est drôle et terriblement sexy.
Bienvenue au purgatoire ! Le spectacle n’a pas commencé que les personnages interpellent déjà des spectateurs pour récupérer le numéro qui leur a été remis à l’entrée. Nous voilà fixés : nous sommes tous morts !
L’énergie du cirque combinée à l’humour du cabaret
Ambiance… cabaret, malgré tout, avec ces drôles d’énergumènes emportés dans une folle sarabande : une hôtesse de l’air nous accueille pour un vol en enfer sans escale, tandis que Soldevila, l’ex-P.‑D.G. lubrique de la compagnie aérienne La Vie Airlines, se présente comme un maître de cérémonie bien spécial. Flanqué d’une secrétaire pas si coincée que ça et de la garce de service, le voilà en train de faire l’appel. Des spectateurs répondent « présent », d’autres fouillent dans leur poche, craignant de devoir monter sur scène afin d’être jugés à leur tour.
Mais, pour l’instant, c’est un terroriste qui doit rendre des comptes. Oui, car, dans ce lieu, on expose ses péchés à défaut de les expier. L’homme cloué sur un fauteuil roulant tente bien de s’en sortir par une pirouette – prétexte à d’exceptionnelles acrobaties n’utilisant que le haut du corps –, il a peu de chance d’alléger sa conscience.
Fil conducteur du spectacle, Soldevila passe donc en revue les fiches de ceux qui peuplent cette antichambre. Il raconte tout sur ces gens (la vie, comme la mort, et surtout leurs travers), leur donnant ainsi l’occasion de faire leur numéro. Dans ce purgatoire imaginaire, les âmes pécheresses sautent, chutent, jonglent, s’élèvent, volent pour tenter d’échapper à une inexorable descente aux enfers. Défilent alors l’homme d’affaires pourri, le salaud, la prostituée, la fille stupide, frustrée ou hystérique, la folle, le gars maladroit. Uniquement des stéréotypes que les membres des 7 Doigts de la main parviennent cependant à mettre en scène avec inventivité.
Belle générosité
Pièce de théâtre à part entière, la Vie n’en demeure pas moins un spectacle de cirque. Les numéros servent tous une action et chaque performance est bien intégrée au synopsis, comme la contorsionniste Isabelle Chassé, particulièrement touchante, que ce soit dans sa camisole de force ou suspendue à ses tissus aériens devenus chaîne de draps pour s’échapper de l’asile. Patrick Léonard, lui, campe un clown sans nez hilarant. Sa partie endiablée de diabolo avec Soldevila fait partie des prouesses les plus applaudies.
Solos de haute voltige, au sol comme dans les airs, numéros de main-à-main, trapèze, équilibre et autres acrobaties se succèdent donc pour le plus grand plaisir des spectateurs. Les huit artistes, vraiment épatants, se donnent avec une belle générosité. Le tout sur le rythme d’une musique en direct très actuelle de D.J. Pocket, qui concocte de savoureux cocktails sonores depuis ses platines derrière le bar.
Alors, spectacle à consommer sans modération, cette Vie aux allures infernales ? Pire que l’humour bien gras et des prises à partie du public un peu lassantes, c’est sa crudité qui peut déplaire : « Être proche de ses sentiments, de ses désirs et de sa sexualité, ça fait partie de la vie. C’est en ce sens que le sexe est utilisé dans le spectacle : pour éveiller les sens et donner le goût de vivre. ». C’est vrai, quoi ! Nous sommes bel et bien vivants. Au cas où nous l’aurions oublié, le diabolique Soldevila nous le rappelle. Apprécions alors effrontément les plaisirs terrestres. Mais attention, ce spectacle qui dynamite tous les tabous (sexe, suicide, folie, débauche, sadisme) est déconseillé aux moins de 15 ans !
Et pour ceux qui préfèrent les numéros de groupe dans lesquels ces artistes-là excellent (le jeu de mots, Les 7 Doigts de la main, illustre bien l’unité de ses membres), ne ratez pas Psy, leur deuxième création présentée cette fois-ci à la Grande Halle de la Villette du 23 novembre au 30 décembre 2011. Pour sûr, après cette scène vraiment minuscule du Cabaret sauvage, la troupe devrait y être bien plus à l’aise. Une spectaculaire circothérapie pour toute la famille ! ¶
Léna Martinelli
la Vie, de la compagnie Les 7 Doigts de la main
http://www.youtube.com/watch?v=4N7pFstXscs
Avec : Évelyne Allard, Émilie Bonnavaud, Isabelle Chassé, Krin Haglund, Patrick Léonard, Samuel Tétreault, Sébastien Soldevila, D.J. Pocket
Photo : © Éric Piche
Le Cabaret sauvage • parc de la Villette • 75019 Paris
Métro : Porte-de-la-Villette
Réservations : 01 40 03 75 75
Du 25 octobre au 20 novembre 2011, du mardi au samedi à 20 h 30, représentation supplémentaire le samedi 17 décembre 2011 à 16 heures
Durée : 2 h 20, dont 30 minutes d’entracte
30 € | 25 € | 20 €
Billet couplé pour les 2 spectacles : 45 €