Làoùtesyeuxseposent, Johanny Bert, Lycée Decour, Paris Festival d’Été

Làoùtesyeuxseposent © Christophe-Raynaud-de-Lage.

Fiat apocalypse !

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Créé pour les sujets à Vif en 2021, « Làoùtesseyeuxseposent » De Johanny Bert résonne autrement au lycée Jacques-Decours, mais continue de réjouir et déconcerter. Réflexion sur la création artistique ? Genèse iconoclaste ? Le spectacle, inclassable, a l’intelligence de laisser le spectateur à ses exégèses.

Au commencement, il y avait la fin, c’est-à-dire le chaos. Il y avait peut-être ce que nous vivrons tous bientôt. Les êtres apparaissaient à la surface d’un plateau-castelet, puis s’abîmaient dans ses profondeurs. Et le verbe n’y pouvait rien, alors la parole s’était tue. Il n’y avait rien à raconter que cet engloutissement dont, comme les autres créatures (oiseaux postiches, arbre, souris mécaniques), des figures anthropomorphes étaient les victimes. Elles en tiraient sans doute les fils. On entendait seulement le piaillement d’oiseaux affolés et les notes d’une musique belle, mais angoissante, interprétée à vue par Thomas Quinart. Un requiem pour les êtres vivants ?

Ainsi pourrait-on décrire succinctement Làoùtesyeuxseposent. Délocalisé hors du Jardin de la vierge que le plateau-castelet reproduit en miroir, la création décuple ici son pouvoir d’évocation. Car quand le spectateur entre en salle et découvre une vierge à l’enfant et un arbre, la référence à la Genèse s’impose avec plus de force. Mais la référence n’est là que pour être tordue : Adam et Ève ont des allures de poupée gonflables ; un humour noir et iconoclaste règne. Par ailleurs, la Genèse est aussi une apocalypse.

© Christophe Raynaud de Lage

Faustine Lancel et Johanny Bert font se succéder épiphanies et catastrophes (au sens étymologique), dans un cycle tragique d’autant plus violent que les apparitions sont presque toujours verticales, éruptives. Ainsi, un arbre se dresse sur ses racines, le plateau blanc aseptisé comme un plan de cuisine est crevé et finit jonché de débris. Il régurgite une créature ectoplasmique noire et luisante comme le pétrole. Cette dernière figure, jamais élucidée, convoque autant des images de désastres écologiques, que les mythes païens (les autochtones, et guerriers sitôt nés, sitôt prêts à s’entretuer, par exemple), les religions et le film d’horreur.

Le sang des poètes

Le tragique tient aussi à une dramaturgie de la répétition. L’arbre de la connaissance déracinée, les êtres seraient-ils condamnés à ne jamais rien apprendre des malheurs subis ? Le registre est ainsi moderne. On songera peut-être au théâtre de l’absurde. Seule la musique semble échapper au massacre : pourrait-elle ranimer une humanité exsangue, ou se nourrit-elle (l’art se nourrit-il plus généralement) de la chair de l’artiste ?

Impossible à trancher. Mais on ne peut qu’être sensible à la place accordée à Thomas Quinart, seul à évoluer à vue. Tel le Joueur de Hamelin, il semble présider à l’effondrement, tant sa partition fait écho à ce qui se produit sous nos yeux. Ajoutons qu’un énigmatique tableau, associant un phonographe et une perfusion, confère à la musique un statut privilégié.

Installation, performance, le spectacle présente aussi un spectre de possibles marionnettiques, entendu au sens large, avec ses objets téléguidés, ses personnages à gaines, à tiges… Complexe et foisonnant donc, il offre en prime aux spectateurs un présent sous la forme d’un lien Internet : une ultime surprise avant qu’il ne formule son jugement dernier ? 🔴

Laura Plas


Làoùtesyeuxseposent, de Johanny Bert

Site de la compagnie
Conception et mise en scène : Johanny Bert
Avec : Faustine Lancel, Thomas Quinart, Johanny Bert
Scénographie : Amandine Livet
Voix off : Juliette Alain
Durée : 30 minutes
Dès 14 ans
Présentation du spectacle par Johanny Bert dans un autre cadre
Festival Paris l’été • Lycée Jacques-Decour, 12, avenue Trudaine • 75009 Paris
Du 28 au 30 juillet 2022, à 18 h30, et les 28 et 29 juillet, à 20 heures
De 10 € à 20 €
Réservations : 01 44 94 98 00 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Paris l’été, du 11 au 30 juillet 2022
Plus d’infos ici

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Hen, de Johanny Bert, Le Monfort à Paris, par Léna Martinelli
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