Une excellente idée
Par Alicia Dorey
Les Trois Coups
Le metteur en scène argentin déploie une nouvelle fois des trésors d’inventivité sur le plateau du Théâtre de la Bastille, et revient avec un spectacle surprenant et inclassable.
Tout commence avec une table de ping-pong, autour de laquelle un artiste et son collaborateur échangent des idées, de la plus astucieuse à la plus loufoque. Au fil d’un dialogue pour le moins étonnant, on assiste à une mise en abyme absolument vertigineuse du travail de création. Ce que Federico León cherche à nous montrer, c’est que chaque production artistique surgit d’un accident, ici une banale panne d’ordinateur. Ayant perdu toutes ses données en l’espace d’une nuit, l’artiste s’évertue à rassembler ses souvenirs, caressant l’espoir vain de reconstituer des centaines de récits, de pièces et de documents disparus.
C’est à partir de cet échec qu’une nouvelle idée de spectacle va peu à peu apparaître, structurée autour du jeu entre fiction et réalité. Toute la scénographie va devenir prétexte à déterminer ce qui, dans une œuvre, doit être réel, ou ce qu’il est nécessaire de créer pour faire illusion : les vidéos enregistrées, la fumée et l’odeur de l’herbe, la voix entendue à l’autre bout du fil… Les deux comédiens s’amusent à nous perdre, et cela fonctionne à merveille.
Comment croire à ce que l’on voit sur scène ? C’est la question qui nous est posée. On en vient rapidement à tout remettre en cause : est-ce un véritable joint que les deux compères s’échangent devant nous ? Boivent-ils du whisky ou a-t-il été remplacé par du thé ? Déchirent-ils vraiment un billet de banque sous nos yeux ? Afin de nous prouver que le billet est authentique, les voilà en train de le passer au détecteur. Mais, si l’on s’en tient à leur raisonnement, le détecteur pourrait bien lui aussi être un faux. Un détecteur de détecteur s’impose. C’est la course à l’absurde, et l’on se plonge avec délectation dans ce formidable exercice de doute perpétuel.
L’ordinateur, personnage sensible
À l’aide d’une petite caméra fixée au premier rang, dont les images se retrouvent projetées en face de nous, c’est le regard du spectateur qui se mue en vecteur et objet d’analyse. Le cerveau des deux hommes est comme mis à nu. On découvre ce qui nous est habituellement caché, c’est-à-dire l’origine des idées, et les mécanismes grâce auxquels elles germent dans l’esprit d’un artiste. L’ordinateur posé sur la table devient un personnage à part entière, dont la ressemblance avec l’esprit humain est tout à fait troublante. Véritable miroir du processus de création qui se déroule devant nous, il rêve, produit, corrige, agence et supprime les idées à une vitesse fulgurante, sans que l’on ne sache jamais si tout cela était ou non prévu au programme.
On ne sera pas informé de ce qui, durant cette heure de représentation, avait été planifié. On en viendrait presque à vouloir revoir le spectacle plusieurs soirs de suite, afin de balayer certaines de nos interrogations, mais en prenant le risque d’en découvrir de nouvelles. ¶
Alicia Dorey
las Ideas, de Federico León
Dramaturgie et mise en scène : Federico León
Avec : Federico León et Julián Tello
Assistant mise en scène et production : Rodrigo Pérez et Rocío Gómez Cantero
Scénographie et accessoires : Ariel Vaccaro
Lumières : Alejandro Le Roux
Musique : Diego Vainer
Coordination technique : Matias Iaccarino
Costumes : Paola Delgado
Photographies : © Ignacio Lasparra
Graphisme : Alejandro Ros
Système de vidéoprojection : Paula Coton, Augustín Genoud
Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris
Réservations : 01 43 57 42 14
Site du théâtre : www.theatre-bastille.com
Métro : lignes 1, 5 et 8, arrêt Bastille
Du 7 au 16 octobre 2015, du lundi au samedi à 19 h 30
Durée : 1 heure
24 € | 17 € | 14 €