La famille en lambeaux
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Lamentable et brinquebalante, la vie au rabais d’une famille sans le sou. Une comédie alerte et grinçante, lauréate du prix des Jeunes Metteurs en scène du Théâtre 13.
On a rarement vu famille plus lamentable représentée sur un plateau : il suffit de voir la scène quelques secondes pour être pris dans le confinement malsain de cet appartement encombré de débris de bouteilles, et de vieux vêtements. Et quand surviennent les personnages, habillés de loques, l’envie d’ouvrir la fenêtre pour aérer se fait encore plus forte. Leur comportement, tout en agressivité, jérémiades ou enfantillages régressifs, témoigne d’un état de sociabilité proche du point de non-retour. Quelle vie est-ce donc que la leur ? D’emblée, le jeu des comédiens et la mise en scène tourbillonnante installent ce climat instable et légèrement inquiétant dans ce qui est pourtant du registre de la comédie.
Essayant de comprendre les liens entre les personnages, on frémit en comprenant que la femme-enfant se trimbalant dans un pull trop large et des chaussettes trouées n’est autre que la mère des trois autres. Deux figures surnagent tout de même : Gaby, la fille (excellente Fanny Aubin), et la grand-mère, magnifiquement interprétée par Brigitte Faure, qui apporte à son personnage toute la générosité et la malice nécessaires. Or, déjà passablement sens dessus dessous, la tribu est cette fois complètement ébranlée par l’hospitalisation de la grand-mère, aux frais de Veronica, la deuxième fille qui, elle, a semble-t-il réussi sa vie.
On comprend que le spectacle ait reçu le prix du Théâtre 13 des Jeunes Metteurs en scène, ainsi que celui décerné par le public. Il n’y a jamais le moindre temps mort, et Johanna Boyé parvient à maintenir un rythme déchaîné. Parfois, lors de scènes particulièrement animées (c’est une litote), le plateau a l’air trop petit pour contenir courses-poursuites et autres bagarres échevelées. Et les comédiens, comme aspirés dans ce souffle dramatique, donnent le meilleur d’eux-mêmes, avec un engagement de tous les instants. Citons notamment Paul Jeanson, dont la composition en jeune homme dérangé étonne à chaque instant par son brio ambivalent.
Une matière peu ragoûtante
Ces gens deviennent-ils fous parce qu’ils sont pauvres ? C’est en tout cas l’absence d’argent qui précipite les membres de la famille dans des comportements absurdes ou carrément déviants : on pense à la scène très drôle dans laquelle mère et enfants s’arrangent pour venir prendre une douche, en cachette, dans la chambre d’hôpital de la grand-mère mourante, le gaz leur ayant été coupé (bravo à Guillemette Barioz, parfaite dans le registre de la mère insupportable). De la même façon, la pauvreté sert à susciter des situations dramatiques extrêmes et à dresser des portraits hauts en couleur. La puissante mise en scène fait de cette matière peu ragoûtante (surtout au début) un spectacle à l’énergie décoiffante, qui ne pourra laisser indifférent. ¶
Céline Doukhan
le Cas de la famille Coleman, de Claudio Tolcachir
Les Sans chapiteau fixe
http://www.les-sans-chapiteau-fixe.fr
Mise en scène : Johanna Boyé
Avec : Fanny Aubin, Guillemette Barioz, Arnaud Dupont et Paul Jeanson en alternance, Brigitte Faure, Kamel Isker, Élise Noiraud, Boris Ravaine, Julien Urrutia
Costumes : Mélisande de Serres
Création lumière : Cyril Manetta
Création sonore : Kevin Carro
Scénographie : Julie Benegmos et Anna Crosby
Théâtre des 3-Soleils • 4, rue Buffon • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 84 09 13
Du 5 au 27 juillet 2014 à 16 h 10
Durée : 1 h 20
18,5 € | 13 € | 10 €