Une édition riche en émotions
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Le Mans fait son Cirque vient de s’achever. Encore une belle édition à la hauteur des enjeux liés à un pôle national, puisque le Plongeoir – Cité du Cirque, qui l’organise, vient d’être labellisé. Ce festival se distingue par une programmation audacieuse, mais accessible, qui s’intègre à un projet de référence. Notre sélection reflète la qualité de l’accompagnement réservé aux artistes et aux publics.
En devenant le premier dans la région des Pays de la Loire, Le Plongeoir a rejoint le cercle très fermé des pôles nationaux cirque en France. Cette labellisation marque la reconnaissance par l’État, mais il est également soutenu pour l’ensemble de ses missions par la Ville du Mans, le Conseil départemental de la Sarthe et le Conseil régional des Pays de la Loire.
Tout a commencé par le festival, créé en 2001. Et depuis l’ouverture de la Cité du Cirque, en 2008, jusqu’à celle du Chapiteau, en novembre dernier, de nombreuses activités ont été impulsés progressivement : l’accompagnement aux artistes, notamment par le soutien à la création, à la production et à la diffusion des arts du cirque, l’offre pédagogique d’enseignements du cirque, l’implantation sur le territoire grâce à un travail de fond auprès de la population, des actions de médiation…
Temps fort, Le Mans fait son cirque est une formidable vitrine qui rend bien compte de ces activités. Toute la filière cirque y est représentée durant les deux semaines : plus de vingt spectacles de cirque actuel, de concerts, des formations, des ateliers, des stages de pratique, sans oublier les bonus (animations, visites…). Mais ce projet ambitieux se conjugue au quotidien, par des saisons.
Lieu de fabrique et de dialogue
Porté par son directeur Richard Fournier, le volet artistique du Plongeoir se déploie à travers un projet sociétal unique, appelé « cirque au quotidien », favorisant la rencontre entre artistes et habitants. Installé dans le quartier des Sablons – Bords de l’Huisne, La Cité du Cirque et Le Chapiteau sont de véritables lieux de vie(s) où la convivialité, le partage, la transmission et le vivre ensemble côtoient l’exigence de la création.
Structure de bois et de toile imaginée par l’architecte Christophe Theilmann, Le Chapiteau a été distingué par le prix régional de la Construction Bois 2023, décerné par l’association Fibois Pays de la Loire. Il peut accueillir 400 spectateurs et spectatrices autour d’une piste de 13 mètres de diamètre. Nous avons pu en apprécier son confort et les vertus d’un espace modulable qui contribue au renouvellement des formes artistiques.
Rencontres, expériences et découvertes
On salue la recherche de relation particulière entre les œuvres et les publics, à l’origine de nouvelles expériences de rencontres. Parmi les spectacles de cette édition, plusieurs ont un format intimiste ou immersif, en petite jauge, ou des dispositifs innovants. Des nuits pour voir le jOur (cie Allégorie) en fait partie, mais nous n’en dirons pas plus, pour préserver l’effet de surprise. Toutefois, notre critique explique pourquoi ce témoignage de circassienne est si précieux. Un spectacle très bien écrit et mis en scène autour de l’empêchement, mais surtout du vaste champ des possibles qui peut s’ouvrir à tous, pour peu qu’on s’attelle à réfléchir au sens de nos épreuves.
Cette proposition colle bien avec l’une des thématiques abordées avec les professionnels (soin du corps de l’artiste). Dans son accompagnement des artistes de cirque tout au long de leur parcours, Le Plongeoir agit évidemment aussi en faveur de l’insertion professionnelle. Ainsi, en partenariat avec les écoles supérieures et les centres de formation, le festival offre-t-il aux étudiants un cadre de diffusion et de réelles opportunités de rencontre.
Émotions
Plusieurs spectacles d’écoles ont donc été présentés, dont la promotion 2021 de l’Ésacto’Lido et Les Échappées du CNAC (35e promotion). Rien à voir avec les grosses productions de fin d’année, mis en piste par un artiste de renom, comme le Cycle de l’absurde, pour la 32e promotion, dont nous avons pu apprécier la version salle, après celle circulaire, vue au Cirque-Théâtre d’Elbeuf (lire notre critique).
Aux saluts de cette ultime représentation, Raphaëlle Boitel – cie L’Oublié(e) a d’ailleurs vivement exprimé son émotion : « Cette expérience inoubliable prouve que malgré la gravité de la situation, tout est possible. Il ne faut jamais cesser d’y croire. Lâchons les écrans et restons connectés entre nous. Continuez à aller voir du spectacle vivant !». Créé en pleine pandémie, ce spectacle revient effectivement de loin ! Il exprime, lui aussi, l’empêchement, la colère, le doute, le désespoir et la résilience, dans une forme particulièrement aboutie.
Soutien à l’émergence
Des projets de jeunes artistes sont repérés et soutenus, tel Soi(e), de la compagnie Inéluctable, fondée par Marius Fouilland, diplômé de l’Académie Fratellini en 2021. C’est justement notre coup de cœur (lire notre critique). Une magnifique ode à la confiance, à la force et à la vulnérabilité.
Il ne s’agit pas d’émergence mais du premier solo de Basile Forest. Pour avoir vu ce dernier dans les Dodos du P’tit Cirk (lire notre critique) et Les Voyages avec la compagnie XY, on connaissait le porteur acrobatique, porteur au cadre coréen et musicien. Ici, Basile Forest revient aux classiques, Carmen, mais pas vraiment de façon traditionnelle, en jonglant avec des extraits de l’opéra de Bizet : « Il y aura le début. Il y aura la fin. Il y aura le tragique. Tel est le destin, telle est la fatalité. Il y aura le comique, un peu. Il y aura la musique, beaucoup. Il y aura les émotions, surtout. De l’ennui, comme à l’opéra. De l’amour, de la solitude ; on n’y échappe pas. De la jalousie, de l’incertitude ; on n’y échappe pas. »
Entre l’ouverture, en queue de pie et le final, en sueur, la habanera se fait en caleçon. Ni arène, ni héroïne, ni armée. Basile Forest porte tout. Ou presque ! Car pas facile de faire du violon un agrès. Le bois qui craque, l’archet qui se barre, les cordes qui grincent… Le spectacle se résume aux pérégrinations de cet excentrique, qui a bien du mal, cul par-dessus tête, à dompter son instrument.
Car tous les chemins y mènent se veut un hymne à la fragilité, avec un questionnement sur la masculinité. Hélas, cette représentation nous a déçus, avec trop d’approximations, un problème de rythme, des fausses notes qui nous écorchent les oreilles, même si c’est voulu. En effet, les gags ne font pas vraiment rire, sans doute parce que Basile Forest, « mi-fugue mi raisin », n’est pas un clown. Relevons toutefois des acrobaties originales et la tentative de rapprocher musique et cirque, de façon plus équilibrée qu’un simple accompagnement. Cela n’en reste pas moins bancal, à défaut d’être décalé.
Audace
L’un des intérêts de ce genre de festival réside dans la prise de risques liée à la création et la confiance accordée aux compagnies. Chaque proposition est un défi à relever. Une aventure. Si les deux créations en premières nationales évoquées (Des nuits pour voir le jOur et Soi(e) ont retenu notre attention, il est donc normal que d’autres suscitent des réserves.
Tout juste sorti de résidence, L’Histoire de Pom ! (Cirque du Docteur Paradi) est encore un peu frais. Il mériterait d’être resserré, surtout pour les petits, qui se raccrochent aux branches, faute d’images fortes. Pièce à plusieurs niveaux, elle plaît davantage aux grands qui comprennent les subtilités de la langue. Une langue très fleurie qu’on aime tout particulièrement (d’ailleurs un album jeunesse, avec les illustrations d’Annabelle Cocollos, sera prochainement édité) : les métaphores abondent pour cette « peau rouge mal calibrée » qui ne veut pas finir dans un cageot !
© Aude Petiard
En effet, Pom est née du mauvais côté de la barrière, sous un prunier. Rejetée, elle quitte le verger et rencontre Marron (ou Châtaigne, on ne sait pas trop !) qui l’emmène près du Vieux Chêne, au paradis des Fruits défendus. Une « vraie pote » qui l’incite à « se défouler le pépin » ! Pom grandit et son histoire est racontée en cirque, en chant et en musique. Dans ce conte à voir en famille, où le prince est un ver de terre, les métamorphoses du corps, la puberté, le genre, l’exclusion, la séparation, la vieillesse et la mort sont abordés de manière poétique. C’est à croquer. Si le désir et la soif de liberté sont très développés, la fin de vie est trop vite évoquée. Pas besoin d’une « compotée », mais on reste un peu sur notre faim !
Malgré quelques trouvailles, la scénographie dessert le propos. Certes, Pom est un fruit perdu – d’où les poubelles et les pots de conserve – mais les bâches sont trop présentes. Charlotte de la Bretèque réalise de beaux enchaînements aux multicordes et équilibres, mais peine à s’imposer dans les moments plus théâtraux. C’est Pascaline Herveet, cofondatrice du Cirque du Docteur Paradi, « cirque indisciplinaire », qui porte le spectacle, par sa présence et son exceptionnelle interprétation. Les musiciennes, autres membres des Elles, sont aussi formidables. On ne doute donc pas que ce délicieux spectacle musical trouvera son public. Il manque peu de choses pour qu’il casse la baraque ! Surtout que c’est rare, du cirque jeune public sous chapiteau.
En revanche, on n’a pas perdu une seconde des battements du monde que nous fait sentir Chloé Moglia, dans Bleu tenace. Évoluant à six mètres du sol, sur une « structure-sculpture », comme un fragment d’idéogramme, l’interprète Fanny Austry nous propose un moment hors du temps, entre ciel et terre. On est littéralement suspendu, partagé entre l’angoisse de la chute et la contemplation. Plus proche des étoiles.
Les chapiteaux et le circulaire, l’ADN du festival
Les activités du Plongeoir s’étendent donc hors les murs, notamment sur La Promenade Newton, vaste espace arboré au bord de la rivière, très agréable écrin de verdure en ce printemps caniculaire. De la plus intimiste à la plus spectaculaire, avec des solos ou duos en plein air ou des grandes formes sous chapiteau, nous avons pu apprécier la diversité des esthétiques.
Rien de commun entre Peau d’Âme, de Camille Judic, la mise à nu progressive d’une femme, dans un numéro de sangles aériennes évocateur des forces et faiblesses humaines, et les Fauves, des jongleurs forains exposés « pour le meilleur et pour l’avenir », dans leur impressionnant chapiteau bulle. Rien de commun, sinon la vitalité des arts du cirque. 🔴
Léna Martinelli
Car tous les chemins y mènent, de et avec Basile Forest
Site de l’association Les Complémentaires
Regards extérieurs : Sky De Sela, Floriane Soyer, Marianna Boldini
Costume : Nadia Léon
Effets spéciaux : Gabriel Monnier
Son et oreille extérieure : Aude Pétiard
Lumières : Laure Andurand
Régie son : Clément Tranchant
Durée : 55 minutes
Tournée ici :
• Les 15 et 16 juillet, Festival d’Alba, à Alba-la-Romaine
L’Histoire de Pom !, de Pascaline Herveet
Site Cirque du Docteur Paradi
Mise en scène : Pascaline Herveet
Avec : Charlotte de la Bretèque (circassienne), Pascaline Herveet (narration parlée-chantée, chant), Élodie Fourré (violoncelle), Sophie Henry (orgue)
Composition musicale : Les Elles
Son : Laurent Beaujour
Lumières : Flore Marvaud
Costumes : François Blaisot
Décors et illustration : Annabelle Cocollos
Regard extérieur : Marion Guyez
Régie son : Laurent Beaujour
Régie lumière : Flore Marvaud
Durée : 1 heure
Tout public, conseillé à partir de 6 ans
Tournée :
• Le 2 septembre, Espace Culturel Léopold Sédar Senghor, à Le May-sur-Èvre (49)
Bleu tenace de Chloé Moglia
Site du Rhizome – Chloé Moglia
Suspension : Fanny Austry
Avec la collaboration de Mélusine Lavinet-Drouet, Anna Le Bozec, Océane Pelpel, Mathilde Van Volsem et Marielle Chatain
Musique : Marielle Chatain
Scénographie : Rhizome
Conception et réalisation de la structure : Éric Noël et Silvain Ohl
Costumes : Clémentine Monsaingeon
Direction technique : Hervé Chantepie
Régie : Evan Bourdin et Haroun Chehata
Ingénierie du son : Édouard Bonan
Durée : 30 minutes
Tout public
Tournée :
• Les 1er et 2 juillet, Festival Au Village, à Brioux-sur-Boutonne (79)
• Les 8 et 9 juillet, festival La Grande Confluence, Entraygues-sur-Truyère (12)
• Le 8 août, festival Cirque au Sommet, à Crans-Montana (Suisse)
• Le 19 août, festival La Belle Estivale, au Pays de Landivisiau (29)
Dans le cadre du festival Le Mans fait son Cirque, 21e édition, du 16 au 25 juin 2023
Le Plongeoir – Cité du Cirque Pôle Cirque Le Mans Sarthe Pays de la Loire • 6, bd Winston Churchill • 72100 Le Mans
Tarifs : de 4 € à 13 € (gratuité pour les moins de 3 ans) • Pass de 21 € à 45 €
Réservations : Tél. 02 43 47 45 54 ou en ligne ou par mail