« Le Messie » de Handel et Mozart, Théâtre des Champs-Elysées à Paris

« Der Messias » de Robert Wilson © Vincent Pontet

Bob Wilson ressuscite Le Messie d’Haendel

Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups 

Pour célébrer la réouverture du Théâtre des Champs-Elysées, Robert Wilson offre sa vision très personnelle et énigmatique du « Messie » d’Haendel dans la version de Mozart. L’orchestre est dirigé avec maestria par Marc Minkowski.

Avec Haendel et Mozart à la partition, Robert Wilson à la mise en scène et Marc Minkowski à la baguette, c’est peu dire que ce Messie était attendu ! Attendu, certes, comme chacune des nouvelles productions de « Bob », star du théâtre contemporain au style visuel inimitable. Mais d’autant plus attendu que cette toute nouvelle production marque la réouverture du Théâtre des Champs-Elysées après six mois de fermeture forcée.

Composé par Haendel en seulement 24 jours durant l’été 1741, alors que sa carrière connaissait une baisse de régime depuis quelques temps, cet oratorio signe le grand retour du célèbre compositeur. Le livret, signé Charles Jennens, qui avait déjà collaboré avec Haendel en 1738 pour l’oratorio Saül, inspiré par la liturgie anglicane, évoque sauvetage de l’humanité par le Messie. La première partie traite des épisodes de l’Annonciation, de la naissance et de l’apparition de Jésus, la deuxième s’attarde sur la Passion, et la troisième aborde la Rédemption et la fin des temps. C’est dans sa version viennoise de 1789, réorchestrée par Mozart et traduite en allemand, que l’œuvre est ici présentée.

« Der Messias » de Robert Wilson © Vincent Pontet
« Der Messias » de Robert Wilson © Vincent Pontet

Un voyage initiatique lumineux… et vaporeux

Davantage intéressé par l’aspect spirituel et métaphysique de l’œuvre que par sa nature liturgique, Bob Wilson transforme Le Messie en un voyage initiatique, aussi lumineux visuellement qu’obscur sémantiquement. Sa scénographie nous plonge dans un univers blanc énigmatique, magnifié par des lumières et des néons éblouissants. L’espace scénique, transformé en cube blanc, est prolongé par quelques projections vidéo, dont une sphère aux allures lunaires, une mer ondoyante et des morceaux de banquise. Le spectacle offre une poignée de scènes rivalisant de beauté – dont l’image de cette femme naviguant sur une mer de nuages dans une barque, telle Ophélie empruntant son embarcation à Charon…

En plus des quatre solistes et du chœur prévus par le livret, tous vêtus d’habits très stylisés, Bob Wilson ajoute quelques protagonistes étranges, dont un vieil homme un peu gâteux et une jeune fille tout droit sortis d’un tableau mondain du début de la fin du XIXème. Un rôle non négligeable est confié au danseur Alexis Fousekis, dont la nudité partielle fait allusion au Christ au moment de la Crucifixion. Il tournoie avec des rubans telle une jeune fille en pleine compétition de GRS, et enchaîne les sauts de gazelle avec souplesse et élégance – autant d’interventions qui soulèvent davantage de questions qu’elles n’apportent de réponses.

Mais le « mystère » ne s’arrête pas là : Bob Wilson place sur le plateau une créature non identifiée aux airs de yéti, dont le costume pourrait être empruntée aux kukeri bulgares ; une femme qui vide le contenu d’une carafe d’eau dans un verre, avant de tout reverser dans la carafe, répétant l’action à l’envie ; un mannequin sans tête posé à l’avant-scène tenant un homard en laisse ; ou encore un cosmonaute qui déboule de nulle part pendant l’ « Alléluia » ! Un telle hétérogénéité laisse perplexe mais les musiciens nous réjouissent davantage.

« Der Messias » de Robert Wilson © Vincent Pontet
« Der Messias » de Robert Wilson © Vincent Pontet

Une partition vibrante interprétée avec fougue

Le ténor Stanislas de Barbeyrac, qui a rejoint l’aventure deux semaines avant la première, incarne un personnage clownesque, sorte de Monsieur Loyal échappé d’un cabaret berlinois. Tandis qu’il esquisse quelques pas de danse qui offrent un contrepoint surprenant à la musique et aux paroles, sa voix puissante et pleine de nuances se déploie pleinement lors de vocalises splendides. Vêtue d’une coiffe japonaise traditionnelle, la basse bolivienne José Coca Loza fait quant à elle résonner ses graves intenses et profonds, avec une diction très prononcée, presque claquante.

La soprano Elena Tsallagova rayonne (littéralement) sur scène dans sa robe couleur aluminium, avec sa chevelure blonde platine que l’on croirait empruntée au personnage de Daenerys Targaryen dans la série Game of Thrones. Sa voix éclatante, délicate et chaleureuse, parsemée d’aigus brillants, portent à merveille le message mystique de l’œuvre. Vêtue d’une robe plus austère, la contralto Helena Rasker délivre une performance non moins élégante, plus en douceur, accompagnée de mouvements d’automate. Le Philharmonia Chor Wien accompagne les chanteurs dans les moments les plus intenses, avec puissance et subtilité, faisant montre de toute sa puissance lors de l’entraînant « Alléluia ». Depuis la fosse, Marc Minkowski dirige avec passion et précision les Musiciens du Louvre, calmant tantôt la puissance des instrumentistes, leur communiquant tantôt son ardeur, toujours en rendant justice à la partition. 

Maxime Grandgeorge


Der Messiasde Haendel/Mozart
Livret : Charles Jennens, adapté en allemand par Christoph Daniel Ebeling et Friedrich Gottlieb Klopstock

Direction musicale : Marc Minkowski

Mise en scène : Robert Wilson

Avec : Elena Tsallagova, Helena Rasker, Stanislas de Barbeyrac, José Coca Loza, Alexis Fousekis, Max Harris

Interprété par les Musiciens du Louvre et le Philharmonia Chor Wien Photo : © Vincent Pontet

Théâtre des Champs-Elysées • 15 avenue Montaigne • 75 016, Paris

Du 16 au 19 septembre 2020

Tarifs : 5 € à 180 €

Durée : 2h30 avec entracte


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