Un monde de portées de mains
Laura Plas
Les Trois Coups
Comme un contrepied magnifique à l’anthropocène, « Le Pas du monde » de la Cie XY parvient à faire de l’humain le simple élément d’une nouvelle cosmogonie. Une chorégraphie collective délicate et poétique. Un chant du monde qui nous offre un exemple d’écoute du vivant et d’entraide.
Alors voilà, les glaciers s’effondrent sur eux-mêmes, des espèces disparaissent et des mondes s’abîment. Cela va très vite, nous dit-on, et pourtant il nous semble voir ce désastre comme au ralenti. Comme si nos sidérations, notre impuissance nous empêchaient de saisir l’urgence, comme si notre éphémère vie humaine ne savait pas saisir ce qui s’inscrit à une autre échelle que celle de l’individu. La question du vivant est ainsi une question de temps, de perception. Et ce qu’il y a d’infiniment précieux dans Le Pas du monde, c’est d’abord de nous donner à percevoir ce rythme du cosmos. Ce dernier dépasse l’échelle humaine en nous dévoilant des formes jamais totalement fermées sur elles-mêmes, mouvantes, toujours amenées à se redéfinir, comme des cellules.
Cela fait longtemps que le cirque s’est éloigné du numéro, mais ce changement de cap prend particulièrement sens dans ce spectacle. Ici, mouvements latéraux, composition et recomposition des groupes, retombée des sauts (plus encore que verticalité) racontent en effet un autre cirque. La performance n’est pas celle du « plus vite, plus haut, plus fort » : foin de la compétition ! En revanche, le porté est magnifié. Ainsi, la loi du vivant semble bien plutôt l’entraide que la loi de la jungle.
Sublime humilité
Forêt de bras dans les îlots, montagnes, océans que forment les corps des artistes. Ce qui marque dès le début, c’est donc le soin des autres, la façon dont les mains sont tendues pour aider, tirer, entraîner, embrasser et protéger. Pour autant, quelle humilité ! Souvent de dos, ces interprètes sont effacés par le remarquable travail de lumière d’Éric Soyer. En outre, les vêtements de scène déclinent des pastels, des couleurs un peu passées qui créent des camaïeux collectifs. Or, cette abolition les grandit car cette union fait la force du propos. Pour évoquer le sentiment de dépassement de l’humain par le cosmos, les Romantiques parlaient de Sublime. Il coïncide ici paradoxalement avec la modestie.

Quand les circassiens s’exercent à mimer l’animal, c’est drôle mais aussi plus attendu. On préfère les moments d’évocation cosmique. Le Pas du monde devient alors chant du monde. À voix nue, les acrobates font de leur respiration la partition du spectacle. À ces souffles vitaux s’ajoutent les voix d’un chanteur et de deux chanteuses : laudes au vivant. Et la troupe entière se joint en chœur à ce concert splendide. On ne perçoit pas bien ce qui est chanté : un esperanto peut-être dépassant lui-aussi les clivages ? En tout cas, la beauté de cette langue sacrée élève ce qu’elle célèbre.
Des lueurs dans la nuit
Dans un roman de Vincent Message, Défaite des maîtres et possesseurs de la Terre, des extraterrestres observent avec consternation la violence et la prétention des humains sur leur propre monde. En regardant Le Pas du monde, peut-être se raviseraient-ils et épargneraient-ils l’espèce humaine ? Le spectacle pourrait être ce feu de détresse lancé vers leur ciel. La magnifique lenteur de ces chutes fait d’ailleurs songer à la gerbe finale d’un feu d’artifice.
Et même si le ciel reste sourd – quand la belle équipe vient saluer – une pluie s’élève alors à son tour, mais cette fois de l’autre côté de la rampe. Elle est faite de milliers d’applaudissements, ceux d’une autre communauté heureuse d’avoir vécu ce moment suspendu et précieux.
Laura Plas
Le Pas du monde, de la cie XY
Site de la compagnie
Mise en scène collective et interprétation : Kritonas Anastasopoulos, Oded Avinathan, Hamza Benlabied, Virginie Benoist, Alejo Bianchi, Consuelo Burgos, Airelle Caen, Julie Calbete, Denis Dulon, Clémence Gilbert, Pedro Guerra, Cyril Héritier, Raimon Mato Rabassedas, Mikis Matsakis, Alice Noël, Raphaela Olivo, Étienne Revenu, Diego Ruiz Moreno , Guillaume Sendron, Florian Sontowski, Camille de Truchis, Antonio Terrones y Hernandez, Amaia Valle
Durée : 1 h 05
Dès 8 ans
La Villette • 211, avenue Jean Jaurès • 75019 Paris
Du 12 au 23 novembre 2025 (relâches les mardis), les mercredis et vendredis à 20 heures, les jeudis à 19 heures, les samedis à 18 heures et les dimanches à 16 heures
De 12 € à 35 €
Réservations : en ligne ou 01 40 03 75 75
Dans le cadre de La Nuit du Cirque
Tournée ici :
• Le 16 et 17 janvier 2026, Carré Colonnes scène nationale à Saint-Médard en Jalles (33)
• Les 20 et 21 janvier, Scène nationale d’Albi (81)
• Du 27 au 30 janvier, La Coursive scène nationale de La Rochelle (17)
• Du 3 au 4 février, Théâtre du Beauvaisis scène nationale de Beauvais (60)• Le 21 février, Opéra, Dijon (21)
• Du 27 au 28 février, Château Rouge scène conventionnée, à Annemasse (74)
• Du 5 au 7 mars, La Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale (63)
• Du 10 au 14 mars, Bonlieu scène conventionnée, à Annecy (74)
• Du 21 au 28 mars, Maison de la Danse, à Lyon (69)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Moebius, Cie XY, par Florence Douroux
Photos © Mélissa Waucquier


