« le Petit Chaperon rouge », de Joël Pommerat, d’après le conte populaire, Ateliers Berthier à Paris

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On retournerait bien dans les bois…

Par Laura Plas
Les Trois Coups

« Le Petit Chaperon rouge » de Pommerat, avant de s’aventurer sur les routes de province, s’offre une excursion aux Ateliers Berthier. Quarante-cinq trop courtes minutes pour découvrir cette histoire de mère, de peur et d’ombres, qui rappelle le conte traditionnel, parfois, mais révèle avant tout le plaisir de raconter sur et par le plateau.

Quand on était petit, on réclamait à cor et à cri une histoire, toujours la même. Plus grand, on s’est peut-être délecté de ces destinées mythiques qui nous mettaient dans le secret d’une fin funeste. Le Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat joue avec ces angoisses délicieuses. Le plateau n’est pas encore éclairé que déjà les sons de la dangereuse forêt parviennent aux oreilles des spectateurs. Alors, tout de suite, le bruit de la cognée du bûcheron rappelle que l’homme n’est pas loin pour sauver les très vieilles dames et les toutes petites filles. Par ailleurs, le rouge du carnage final et du titre hante la pièce par son insolite absence. Ainsi, le Petit Chaperon de Pommerat ne porte aucune couleur, et la lumière constitue le seul décor d’un plateau tendu de noir. La scénographie – gravure bien plus épurée que celle de Doré – laisse entrevoir le rouge du sang des femmes.

De fait, le hiératique conteur-présentateur de la pièce nous narre en avant-scène une histoire au féminin dans laquelle les hommes ont bien du mal à trouver leur place. Le pauvre loup finit par le comprendre. Mal lui en a pris de badiner avec une petite fille et de vouloir la porter dans son ventre ! Délivré dans la douleur, il détale au fond du bois. C’est donc à la petite fille de gagner sa place parmi les femmes de sa famille : sa maman trop belle et trop absente et « la maman de sa maman ». Évidemment, Pommerat ne le dit pas, il ne le fait même pas dire à son conteur, c’est bien plus fort : on le devine.

Une ombre protectrice certes, mais une ombre qui inhibe aussi

D’abord, tandis que les talons imaginaires de la maman claquent, que sa jupe courte dévoile de longues jambes, que ses cheveux flottent, flamboyants, l’enfant et l’aïeule partagent la jupe sage et terne. Elles ont, elles, les cheveux attachés et dissimulés. Ensuite, la mère seule tournoie et danse tandis que les autres se contentent du langage. Outre les costumes et le jeu, l’écriture et les modifications de la distribution suggèrent cette tension. De fait, dans le tableau final, c’est la comédienne qui jouait la mère qui interprète le Chaperon. Et, bien avant, au fond des bois, elle est l’ombre de l’héroïne, une ombre protectrice certes, mais une ombre qui inhibe aussi : trop agile, trop rapide pour l’enfant. Ajoutons que Pommerat fait de la mère la première « bête » de l’enfant. Avant le loup, elle joue à lui faire peur.

La solitude, la peur, le noir alors que maman est bien trop loin… Quel enfant n’a pas ressenti le vertige de cette situation, quel spectateur ne le retrouve pas dans l’obscurité de la salle quand de géniales ellipses nous dérobent les forfaits du loup pour ne nous laisser que les bruits formidables de ses festins ? Mais qu’on se rassure (si on y tient vraiment), l’humour offre le contrepoint au frisson. Le loup se ridiculise en appelant « Mémé », les fourmis sont de vraies pipelettes qui adorent les histoires. Et l’humour, noir celui-là, fait que le loup est invité, sous peine de contrarier Mère-grand, à manger tout ce qui lui plaira chez elle…

Pommerat : un écrivain de plateau

Joël Pommerat explique son travail de récriture comme le fruit d’un amour du conte. On le sent. Son narrateur pince-sans-rire, tiré à quatre épingles, sait captiver son auditoire. En avant-scène, il est l’ombre qui ne se mêle pas à celles de la fiction. N’appartenant ni à notre monde ni à celui des protagonistes, il joue le rôle du passeur qui nous entraîne dans une dimension onirique. Pommerat se présente en même temps comme un créateur à part entière du conte : un écrivain de plateau. Et là aussi, on le perçoit. Du conte, Pommerat déploie la part d’ombre par un magnifique travail sur la scénographie et la mise en scène, qui est l’inverse de l’illustration. Ainsi, la lumière suffit à dessiner l’espace de la forêt qui bruit, alors que la pénombre nous laisse imaginer au loin le loup. L’emploi des micros H.F., quant à lui, rend les voix intimes et irréelles. Là où la narration laisse attendre un évènement ou un déplacement, l’écriture de plateau fait une proposition inattendue et plus juste. Alors, même si la fin arrive trop vite, même si on se passerait parfois de la musique, on retournerait bien dans les bois, pourvu que le loup soit l’œuvre de Pommerat. 

Laura Plas


le Petit Chaperon rouge, de Joël Pommerat, d’après le conte populaire

Actes Sud-Papiers (coll. « Heyoka jeunesse »), 2005

Cie Louis-Brouillard • 37 bis, boulevard de la Chapelle • 75010 Paris

01 46 07 33 89

Mise en scène : Joël Pommerat

Avec : Ludovic Molière, Isabelle Rivoal et, en alternance, Valérie Vinci (du 30 novembre au 4 décembre), Saadia Bentaïeb et Murielle Martinelli (du 21 au 23 décembre), Saadia Bentaïeb (du 24 au 26 décembre)

Scénographie et lumière : Éric Soyer

Scénographie et costumes : Marguerite Bordat

Son : François Leymarie et Grégoire Leymarie

Photo : © Élisabeth Carecchio

Ateliers Berthier • 1, rue André-Suarès • 75017 Paris

Métro : ligne 13 et R.E.R. C Porte-de-Clichy

Site du théâtre : www.theatre-odeon.eu

Réservations : 01 44 85 40 40

Du 30 novembre au 26 décembre 2010 à 20 heures les mardi, mercredi et dimanche ; à 15 heures les mercredi 1er, mercredi 22, jeudi 23, vendredi 24, dimanche 26 décembre 2010, samedi 25 décembre 2010 à 17 heures, relâche le lundi

Durée : 45 min

Tournée :

  • Les 12 et 13 janvier 2011 : Maison des arts-Thonon-Évian (04 50 71 39 47) • Thonon-les-Bains
  • Du 19 au 21 janvier 2011 : Château-Rouge (04 50 43 24 24) • Annemasse
  • Du 1er au 3 février 2011 : Théâtre de l’Union, centre dramatique du Limousin (05 55 79 90 00) • Limoges
  • Du 7 au 12 février 2011 : La Coursive, scène nationale (05 46 51 54 02/03) • La Rochelle
  • Du 25 au 27 février 2011 : palais des Beaux-Arts et L’Éden (+32 (0) 71 31 12 12) • Charleroi
  • Du 29 au 31 mars 2011 : L’Espal, centre culturel (02 43 50 21 50) • Le Mans
  • Du 5 au 7 avril 2011 : La Filature, scène nationale (03 89 36 28 28) • Mulhouse
  • Les 15 et 16 avril 2011 : Le Carré (04 94 56 77 77) • Sainte-Maxime
  • Du 28 au 30 avril 2011 : Théâtre Louis-Aragon (01 49 63 70 58) • Tremblay-en-France
  • Du 4 au 6 mai 2011 : Théâtre d’Angoulême, scène nationale (05 45 38 61 62/63) • Angoulème
  • Du 16 au 19 mai 2011 : Équinoxe, scène nationale de Châteauroux (02 54 08 34 34) • Châteauroux
  • Du 25 au 27 mai 2011 : La Coupole, centre culturel (03 89 70 03 13) • Saint-Louis

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