Un festival qui prend soin de notre cerveau
Outre Les Élancées que nos lecteurs connaissent bien, Scènes & Cinés a imaginé un autre temps fort à l’image de la saison, de qualité, ouverte et généreuse : « À la croisée de l’art et des neurosciences, Le Rendez-vous des Lumières vise à apprendre, s’émouvoir et stimuler ses neurones », explique Anne Renault. « Nous avons souhaité faire dialoguer arts vivants et sciences pour nourrir l’intelligence collective, croiser les disciplines, placer l’humain et l’émotion au cœur, expérimenter de nouveaux formats, rendre la connaissance vivante et accessible ».
L’idée provient d’une conviction profonde, renforcée après les confinements liés à la pandémie : « Depuis 33 ans d’activités, je peux témoigner que les expériences artistiques contribuent, parfois à notre insu, à développer nos facultés cognitives et notre intelligence émotionnelle, à orienter notre perception du monde. Alors, que certains considèrent la culture comme non essentielle, me met en colère ! », confie-t-elle.« Il y a quelques années, une conférence de Pierre Moorkens (sensibilisateur et accompagnateur aux transformations des personnes et des organisations), sur les pouvoirs illimités de l’art sur notre cerveau, a été une révélation ! Depuis, a germé l’idée d’un temps fort artistique pour partager ces découvertes ».
Une programmation intergénérationnelle
Après une 1ère édition remarquée, le Rendez-vous des Lumières revient donc avec une marraine d’exception, Sylvie Chokron, neuropsychologue et directrice de recherches au CNRS, autrice de Dans le cerveau de…, Plongez-vous dans votre cerveau : « La valeur principale de l’art est de susciter des émotions et de nous connecter à notre moi le plus profond. Qu’il s’agisse de regarder une peinture, d’assister à un spectacle ou d’écouter de la musique, l’art nous permet d’exercer notre attention et nos capacités de raisonnement. Le Rendez-vous des Lumières nous fera bénéficier de tous les effets positifs de l’art, en stimulant curiosité et sens du partage. Ce festival prend soin de notre cerveau et rappelle que nous devons cultiver tout ce qui fait de nous des êtres humains, surtout à l’heure où l’intelligence artificielle s’installe dans nos vies », écrit-elle. Elle animera la rencontre L’Art qui fait du bien : les progrès de la science démontrent que l’art peut doper nos capacités neurologiques, et même nous rendre plus intelligents.
Durant quatre jours, artistes et chercheurs vont ainsi explorer ensemble l’impact des arts, à travers spectacles, rencontres et ateliers aux formats souvent singuliers.Les intervenants sont pointus mais attachés à la vulgarisation. Les conférences et ateliers sont gratuits (sur réservation). Également au programme : des dédicaces à l’issue des rencontres et de nombreuses surprises susceptibles de brasser les publics. Cet événement a un fort ancrage territorial, puisque toutes les structures de Scènes & Cinés sont impliquées : « l’occasion de fédérer les équipes autour de ce projet (140 salariés) », précise Anne Renault.
Rencontres
Tout commence jeudi de façon décalée avec Emma la Clown, avant une journée complète dédiée aux conférences et ateliers. Quand la science rencontre l’absurde, ça fait des étincelles ! Emma la Clown invite le physicien Philippe Guillemant pour une causerie pas comme les autres. Entre éclats de rire et questionnements vertigineux, cette conférence-spectacle aborde notre rapport au réel, au temps et à l’imprévisible. Une rencontre aussi hilarante que déroutante, où l’intelligence se mêle à l’impertinence.
L’IA envahit subrepticement nos usages individuels et collectifs, transforme nos pratiques et nos métiers. Hallucinations algorithmiques, deepfake, respect de nos données et de la planète… Les enjeux sont nombreux. Quels sont ses origines, ses biais et ses opportunités (IA : Toute une histoire ! par Laure Bourgois, docteure en Intelligence Artificielle, ingénieure à l’INRIA, professeure à l’Université de Versailles) ?
L’IA générative produit textes, images, musiques, vidéos à une vitesse inédite : plus d’efficacité, une créativité décuplée et un accès élargi à la connaissance. Faut-il s’en méfier ou la mettre à notre service (IA générative / intelligence humaine : alliées ou rivales ?, par Jennifer Lavigne, docteure en neurosciences, consultante et formatrice IA) ?
Grâce à la médiation des artistes, l’IA peut créer des formes sensibles, des récits ou des images qui bouleversent, émeuvent ou interrogent. Elle n’est ni indépendante ni consciente, mais elle peut jouer un rôle de co-création avec l’artiste (L’IA : une opportunité ou un danger pour la créativité ?, par Laurence Devillers, enseignante-chercheuse en informatique appliquée aux sciences sociales à l’Université Paris-Sorbonne, autrice de L’IA, ange ou démon ?).
Ateliers et moments ludiques
Comment manipuler les données (Jouons avec les données !, par Laure Bourgois) ? Et si l’on apprenait à dialoguer avec l’IA, comme on pratique un art, en gardant une posture critique et créative (L’Art du prompt par Jennifer Lavigne) ? Comment développer l’esprit critique des enfants, les rendre autonomes et créatifs face à l’IA ? Avec quels outils pédagogiques (L’IA : un compagnon pour l’éducation ?, par Laurence Devillers) ? Comment transformer concrètement les organisations culturelles avec l’apparition de l’IA, à l’aide d’outils spécifiques et faciles à mettre en place (Transformation IA : comment fait-on ?, par Armand Bahri, docteur en stratégie, consultant IA et musicien, avec le soutien de l’entreprise Onepoint).
Quelles sont les formes d’intelligences qui habitent nos corps et nos environnements ? Comment les faire vivre à l’ère de l’intelligence artificielle ? Un atelier sensibilisera au vivant, en même temps qu’à l’IA (Quand les intelligences sensibles jouent avec les artificielles, par Hugo Scurto, artiste, designer et chercheur musical).
Plongées multisensorielles
À la croisée du théâtre, de la musique et des neurosciences, la Prédiction des oscillations est un voyage ludique et poétique au cœur des mystères du cerveau. Il explore nos représentations de ce surprenant organe et propose une vision sensible et musicale de son fonctionnement (oscillations, synchronisations, prédictions). Entre expériences participatives, récits scientifiques et jeu scénique, cette performance co-créée par Benjamin Dupé, musicien-compositeur et Daniele Schön, neuroscientifique, nous invite à repenser notre rapport à la connaissance et à l’intelligence.
« La Prédiction des oscillations » © Margaux Balchere
Outre l’atelier Danse et cerveau : comment ça marche ? (par Asaf Bachrach, neuroscientifique, et Nacim Battou, chorégraphe), Les jeux du « je » : perception, conscience et conscience de soi au théâtre (par Claire Sergent) se demande si l’interprète sur le plateau est en état de corps conscient, imaginé ou transformé par le spectateur.
Nos représentations du monde donnent parfois naissance à des illusions. Sont-elles conscientes ou inconscientes ? C’est ce que recherche le neuroscientifique et ce qu’utilise le magicien (Le cerveau magicien, par Jérôme Trouslard, neuroscientifique à l’Institut de Neurosciences de la Timone Marseille et enseignant à Aix-Marseille Université).
Justement, dans la programmation artistique, les magiciens occupent une belle place. Xavier Constantine présente un spectacle hors du commun qui mêle avec brio magie, humour et intelligence artificielle. Entre conférence décalée, effets magiques spectaculaires et voyages à travers le temps, le public sera embarqué dans une aventure mêlant hologrammes, téléportations et réflexions sur notre rapport à la science. Un moment de pur divertissement, malin et étonnant !
De nos jours, les objets connectés et les capteurs en tout genre optimisent nos capacités d’organisation, d’orientation, de communication. Ils sont devenus omniprésents. Avec des algorithmes plus rapides qu’un cerveau et des intelligences artificielles plus exactes qu’une intuition, les machines ne seraient-elles pas meilleures en magie qu’un magicien lui-même ? Thierry Collet livre un spectacle de mentalisme unique en son genre, Que du bonheur (avec vos capteurs), qui questionne le rapport que nous entretenons avec les nouvelles technologies (lire la critique de Florence Douroux).
Fort de son expérience de joueur d’échecs et de magicien mentaliste, Scorpène propose d’explorer les mystères de Shining, le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick. À partir de recherches approfondies, il met à jour des éléments secrets dissimulés dans le film et livre des clés de lecture aussi étonnantes qu’inédites. Chaque spectateur est à l’affût du moindre indice.
Autre moment palpitant où le public deviendra un acteur clé de l’enquête : la Méthode Sherlock (Andréa Redavid et Paul Spera).Londres est en émoi. Le redoutable Moriarty est de retour et sème le chaos en reproduisant les crimes des célèbres enquêtes de Sherlock Holmes. Dépassé, l’inspecteur Delrue fait appel à un mentaliste, expert en déduction. Mais le public est également mis à contribution.
La musique fait swinguer nos neurones
L’homme a-t-il chanté avant de parler ? Quid du pouvoir curateur du chant des baleines ? André Manoukian, auteur-compositeur, musicien, auteur des Pouvoirs extraordinaires de la musique, raconte ces phénomènes avec jubilation. Il donne aussi un concert présentant son 5e album (dont la sortie est prévue en octobre), inspiré par la musique arménienne (La Sultane).
Comment la musique peut-elle surprendre nos cerveaux ?, table ronde avec Sylvie Chokron, André Manoukian, Benjamin Dupé et Hugo Scurto, animée par François Saltiel, journaliste, chroniqueur (France Culture, France 5), co-auteur de Faire la paix avec nos écrans. Démonstration de haut vol avec blind test grâce à la conférence musicalisée Dans le cerveau des musiciens.
On sera invité à la découverte des zones précisément stimulées par la musique (Cerveau et musique : 50 ans de découvertes, par Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive à l’Institut universitaire de France, université de Bourgogne, chercheur, musicien et co-auteur de la Symphonie neuronale et Musique, sciences et santé). Le concert-conférence Rolling String Quarter illustrera ses propos. Embarquement immédiat pour un concert qui déménage et révèle que la musique stimule la mémoire, l’attention, les émotions et fait swinguer nos neurones. Quant à Une rencontre hors du commun, elle montrera comment la musique assistée par ordinateur (MAO) permet l’envol de la création, malgré les handicaps.
Et si l’on plongeait aussi dans un bain de sons ? Des siestes sonores offriront une expérience unique pour trouver l’harmonie entre corps et esprit. Enfin, quelle proposition insolite que ce concert qui lit dans les cerveaux ! Avec NeuroRhapsody, l’Ensemble de guitares Copla mêlera art et science. Les musiciens sont équipés de capteurs pour mesurer leur activité cérébrale et leurs paramètres biologiques. Leurs données, traduites en direct par un logiciel, deviennent des images poétiques, immersives et projetées. Une performance portée par un répertoire allant du classique aux traditions méditerranéennes dans le cadre d’un projet européen entre les conservatoires d’Istres et de Florence en Italie.
Propos recueillis par
Léna Martinelli
Le Rendez-vous des Lumières #2
Du 2 au 5 octobre 2025
Tout le programme ici
Les spectacles :
• Causerie d’Emma la Clown, le 2 octobre, à 19 heures, Espace 233, à Istres
• I.A : Intelligence Artificielle – Magie Réelle, le 3 octobre, à 20 heures, Théâtre de Fos, à Fos-sur-Mer
• Inside Kubrick, les 4 et 5 octobre, à 14 heures, Espace Robert Hossein, à Grans
• Que du bonheur (avec vos capteurs) et si les machines faisaient de la magie mieux que les humains ?, le 4 octobre, à 16 heures, Médiathèque de Cornillon-Confoux
• La Prédiction des oscillations, le 4 octobre, à 18 heures, Espace 233, à Istres
• La Sultane, le 4 octobre, à 20 h 30, Théâtre La Colonne, à Miramas
• Neurorhapsody, le 5 octobre, à 15 heures, Espace 233, à Istres
• La Méthode Sherlock, le 5 octobre, à 15 heures, Espace Gérard Philipe, à Port Saint Louis du Rhône
Billetterie et informations pratiques
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Trilogie Emma la Clown, par Léna Martinelli
☛ Les Élancées 2025, reportage de Léna Martinelli
Photos : © Scènes & Cinés
