« le Roi Lear », de Shakespeare, cour d’honneur du palais des Papes à Avignon

« le Roi Lear » © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Promesses non tenues

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

La cour d’honneur, le directeur du Festival, la pièce mythique du répertoire, tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette soirée un moment inoubliable. On attendait Py au tournant. Homme de défis, il n’a pas su éviter toutes les chausse-trapes.

À commencer par celles qu’il se tendait à lui-même…

Mais commençons par rendre hommage, au moment où il est de bon ton de tirer sur le créateur extravagant et décalé, à l’homme des paris fous et des belles aventures, à un metteur en scène dont l’esthétique est certes particulière, mais qui sait ce qu’est un plateau immense et comment l’habiter, comment se jouer du vent et de l’espace qui ont signé le désastre de plus d’une mise en scène avignonnaise, comment choisir une distribution et diriger des acteurs. Cela, Olivier Py le fait et le fait bien.

Philippe Girard, son comédien fétiche, grand échalas osseux au regard d’acier, campe un Lear que n’a pas atteint la limite d’âge. Sa décision d’abdiquer est un caprice de puissant, l’occasion rêvée et unique d’obtenir de ses filles des protestations d’amour filial en forme d’actes de soumission. S’il donne tout, ce n’est pas par bonté d’âme, ni par désintérêt pour le pouvoir, quoi qu’il en dise, mais parce que au fond il n’imagine pas un seul instant que ses filles vont s’en saisir et l’en dépouiller. Il croit que va lui rester l’unique pouvoir qui tienne, le symbolique, celui qui n’a besoin ni de preuves ni d’armées, parce qu’il est, tout simplement. Aussi, quand il devra ouvrir les yeux, Lear ressent-il d’abord une colère énorme. Et cette colère ne faiblira pas. Philippe Girard incarne parfaitement cet homme aveuglé par sa propre puissance, ce furieux fou furieux. Et la lecture de Py tient la route.

Il fallait un acteur de la même trempe que Philippe Girard pour le Fou, ce compagnon fidèle qui, sans cesser de se moquer, tout en jouant les cyniques, énonce les vérités que personne n’écoute. C’est Jean‑Damien Barbin, autre immense comédien, ici particulièrement virtuose. Avec son vieux bonnet vissé sur le crâne et un tutu qu’il porte tel un étendard aux armes de Cordelia, la plus jeune sœur déshéritée, il est le sage qui traverse les déserts en raillant. Il chante (ou plutôt braille) à tue-tête tout un tas de comptines enfantines, Frères Jacques ou Il était un petit navire quand tout chavire… C’est lui le premier qui fera vaciller son maître, en lui insufflant un sentiment inconnu : l’empathie.

Trop c’est trop

Ceci étant posé, c’est-à-dire l’essentiel, restent les choix douteux de traduction et d’esthétique (encore que ces réserves sur le texte soient en fin de compte principalement esthétiques). Pourquoi avoir truffé ce texte déjà suffisamment démesuré en lui-même de néologismes d’une vulgarité navrante ? Pourquoi en rajouter, alors que cette histoire regorge de violences, racontées et montrées, comme la scène de l’énucléation de Gloucester (Jean‑Marie Winling) par Edmond (Nazim Boudjenah) ? Pourquoi habiller Regane et Goneril de robes rose bonbon hideuses ? Puis peindre la sœur aînée en maîtresse S.M. traînant en laisse un amant qu’elle chevauche ? À quoi sert de faire voisiner un piano à queue et son élégant instrumentiste d’une part, un mec en cuir, visage caché par un casque surmonté de cornes dignes d’une joute médiévale d’autre part ? Pourquoi affubler Cordelia d’un ridicule tutu de tulle blanc, censé sans doute souligner par contraste son innocence, et lui clore le bec d’un ruban adhésif noir alors que son refus de parler est bien plus éloquent sans cet accessoire ? Pourquoi nous proposer ces références pasoliniennes, il est vrai attendues, avec un Mathieu Dessertine qui court nu en tous sens et qu’on désigne ainsi : « Voilà l’Homme » (sic) avant de faire succomber Lear à ses charmes ? Pourquoi les personnages tombent-ils tous l’un après l’autre dans un trou creusé dans la terre, comme avalés par elle, revenus à elle, parant la tragédie d’une touche grotesque qui n’était sans doute pas voulue comme telle ? Et que penser de ces messages de néon aveuglant ? Etc. 

Trina Mounier


le Roi Lear, de William Shakespeare

Création 2015

Traduit par Olivier Py

Publié aux éditions Actes Sud-Papiers

Mise en scène : Olivier Py

Scénographie, décor, costumes et maquillage : Pierre-André Weitz

Lumière : Bertrand Killy

Son : Rémi Berger Spirou

Assistanat à la mise en scène : Thomas Pouget

Technique et production : Festival d’Avignon

Avec :

  • Jean-Damien Barbin (le Fou)
  • Moustafa Benaïbout (Cornouailles, un messager)
  • Nâzim Boudjenah, de la Comédie-Française (Edmond)
  • Amira Casar (Goneril)
  • Céline Chéenne (Régane)
  • Eddie Chignara (Kent)
  • Matthieu Dessertine (Edgar)
  • Émilien Diard-Detœuf Oswald (Bourgogne)
  • Philippe Girard (Lear)
  • Damien Lehman (France)
  • Thomas Pouget (Écosse, un serviteur, un vieil homme)
  • Laura Ruiz Tamayo (Cordélia)
  • Jean-Marie Winling (Gloucester)

Photos du spectacle : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Production : Festival d’Avignon

Coproduction : France Télévisions, Les Gémeaux à Sceaux, National Performing Arts Center – National Theater & Concert Hall (Taipei), Les Célestins à Lyon, Anthéa Antipolis à Antibes, La Criée à Marseille

Avec le soutien de la région Île-de-France, de l’A.D.A.M.I. et de la Spedidam

Avec la participation artistique du Jeune Théâtre national

Résidence à La FabricA du Festival d’Avignon

Festival d’Avignon • 20, rue du Portail-Boquier • Avignon

Tél. 04 90 14 14 14

Cour d’honneur du Palais des papes

Du 4 au 8 juillet et du 10 au 13 juillet 2015 à 22 heures

Durée : 2 h 35

De 38 € à 14 €

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