« le Signal du promeneur », du Raoul Collectif, Théâtre de la Bastille à Paris

le Signal du promeneur © Cici Olsson

« Le Signal du promeneur » : faire la clarté sur notre monde

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Fruit d’une démarche originale, la première création du Raoul Collectif est, malgré le jeune âge de ses membres, un « coup de maîtres », d’ailleurs récompensé par le prix du Public et le prix Odéon-Centquatre-Télérama remis au festival Impatience 2012 à Paris. Après un formidable succès au Festival d’Avignon cet été, les voilà programmés au Théâtre de la Bastille. Une consécration hautement méritée pour ces artistes belges vraiment prometteurs.

Penser le monde, oui, mais dans l’exubérance et la facétie. Si Camus, Nietzsche, Einstein sont convoqués, c’est de façon chaotique, presque irrévérencieuse. Bande de sacrés garnements ! Pas de morale, ici, mais des pépites d’intelligence, des filaments de poésie, de l’humour en barre. Tout en rythme et en contradictions. Un feu d’artifice ! Sauf que ces cinq lascars sont profondément sincères dans leur démarche.

Tout feu tout flamme

Ces jeunes promus de l’École supérieure d’acteurs de Liège se sont engagés dans la voie utopique – lente mais fertile – de la création collective pour faire un peu de lumière sur les dérives de nos sociétés. Ils ont lu Perec (Un homme qui dort), Zorn (Mars), Carrère (l’Adversaire), Krakauer (Into the Wild). De longues marches en groupe ont aussi constitué une phase importante dans l’élaboration du spectacle, nourri par l’effort physique, les échanges, la sève des Ardennes et des Cévennes. De cette intense expérience, entre sentiers escarpés et clairières lumineuses, ont émergé un terreau dramaturgique et des figures de promeneur : David Murgia incarne un guide particulièrement éclairé ; Benoît Piret un pisteur à suivre à la trace ; Romain David un naturaliste très appliqué ; Jérôme de Falloise un homme des cavernes impressionnant ; Jean‑Baptiste Szezot un chevalier bien loin d’être sans peur et sans reproche.

Chemin faisant, nos joyeux drilles ont alors choisi de nous faire réfléchir sur l’absurdité de nos comportements, nos luttes, nos espoirs, nos déceptions, à travers le cas d’hommes en rupture avec leur milieu, voire la société toute entière : « Qu’est‑ce qui pousse quelqu’un à opposer un destin trop bien tracé à une révolte qui porte en elle le cri viscéral du vivant ? ».

L’égarement de ces « monstres » de faits-divers nous parle d’autant plus que ces biographies décalées, révélatrices des symptômes d’une société malade qui produit des êtres en souffrance dont la seule issue est la rébellion, l’isolement ou la folie furieuse, soulèvent la question de la responsabilité.

Quoi qu’il en soit, cela a inspiré à ces petits insolents du Raoul Collectif une sortie de cadre très stimulante. Déjà, l’entrée des comédiens sur scène, par les portes de service et les cintres, déconcerte. Lampe vissée sur le front et lampe-tempête à la main, ne voilà‑t‑il pas qu’ils entonnent Beethoven a capella ! Mais dans quelle galère sommes‑nous donc ? D’autant que tous, en bottes et ciré, semblent échappés d’un cataclysme. Entre procès et chasse aux ptérodactyles, digressions et citations latines mâtinées d’accent belge, on s’attend donc à tout. D’ailleurs, face aux crises économiques, face aux catastrophes écologiques, avons‑nous vraiment le choix ?!

Humour noir

Malgré les mottes de terre larguées depuis les cintres, ces gais lurons optent pour le relativisme, l’ironie, la distance salvatrice. Le ciel peut bien leur tomber sur la tête, eux préfèrent résister, continuer à vivre malgré l’état de choc. Car comment changer le monde, se demandent‑ils : en restant dans son lit ? En se voilant la face ? En s’intégrant ? En prenant la fuite ?

Survivre, oui, mais en groupe de façon quasi organique. Se relever de la bagarre générale, se réconcilier en fanfare… Attraction, répulsion, rejet, l’individu n’existe que dans le rapport avec les autres. C’est ainsi que les membres du Raoul Collectif partagent leur volonté farouche de changer les choses, ensemble. Et c’est jubilatoire, car le théâtre apparaît comme un laboratoire pratique de démocratie.

Talent fou

Résister, oui, mais maîtriser la situation. En attendant, tout part en vrille sur le plateau. La scène est à l’image de ces cerveaux en fusion : foutraque et en état d’urgence. Mais habilement tissées entre elles, ces histoires, sans queue ni tête, finissent malgré tout par composer du sens, entre chaos et rigueur, fantaisie et gravité.

Avec leurs tripes, avec leur cœur, ces gaillards‑là inventent un théâtre éclairé, sans jamais se prendre au sérieux. Ils prennent leur sujet à bras le corps et habitent le plateau comme jamais. La friction de ces cinq tempéraments dégage une énergie immédiatement perceptible. Tous jouent avec un talent fou, surtout qu’ils ont chacun plusieurs cordes à leur arc, notamment la musique. L’alternance de scènes chorales et de monologues puissants crée une tension réjouissante, tant dans le propos que dans la forme. Surtout que, de bric et de broc, les costumes et accessoires s’avèrent en fin de compte les éléments d’une scénographie, comment dire… brillante. Normal pour un spectacle conçu sous forme de signal d’alarme ! Un geste artistique et politique fort qui réveille. 

Léna Martinelli


le Signal du promeneur, du Raoul Collectif

Conception et mise en scène : Raoul Collectif

De et avec : Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret, Jean‑Baptiste Szezot

Assistanat à la mise en scène : Édith Bertholet

Regard extérieur : Sarah Testa

Collaboration artistique, costumes : Natacha Belova

Son : Julien Courroye

Lumière : Emmanuel Savini

Régie générale : Philippe Orivel

Photo : © Cici Olsson

Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris

Réservations : 01 43 57 42 14

http://www.theatre-bastille.com/

Du 26 novembre au 13 décembre 2012 à 21 heures, le dimanche 2 décembre à 18 heures, le dimanche 9 décembre à 15 heures et 20 heures, relâche les 29, 30 novembre, 4 et 10 décembre

Durée : 1 h 30

24 € | 17 € | 14 €

http://www.theatre-video.net/video/Le-Signal-du-promeneur-de-Raoul-Collectif-bande-annonce

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