« le Silence du Walhalla », d’Olivier Balazuc, Théâtre national populaire à Villeurbanne

« le Silence du Walhalla » © Jean-Louis Fernandez

Encéphalite familiale

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Richard Brunel, le cerveau du « Silence du Walhalla », présente au T.N.P. de Villeurbanne, un otni – objet théâtral non identifié – création de la Comédie de Valence, centre dramatique national qu’il dirige avec un collectif d’artistes. À l’écriture, Olivier Balazuc, et au plateau, une emballante distribution. Le résultat : un spectacle de théâtre musical original et sagace sur les névroses d’une famille en pleine crise de nerfs.

Sur le fronton de sa villa « Wahnfried » à Bayreuth, Richard Wagner a fait graver « Ici, où mes illusions trouvèrent la paix, ainsi je nomme cette maison ». Avec la pièce d’Olivier Balazuc qui lui fait une évidente référence, c’est tout le contraire qu’on découvre. Dans la demeure d’un célébrissime compositeur, veuf depuis trente ans, une guerre intestine éclate pour tenter de rompre la loi du silence imposée par le maître des lieux en panne d’inspiration. Le jour où son fils aîné est chargé d’organiser un hommage à la gloire musicale de son père, la cérémonie dérape en un cruel lavage de linge sale familial. À tour de rôle, fils, fille, bru et père font s’écrouler progressivement les murs du silence, catapultant vers les spectateurs, qui sont désignés comme participants à cette drôle de fête, leurs troubles de la conscience et du comportement. C’est féroce, impitoyable, hérissé d’humour noir et diaboliquement mis en musique. Cerise acide mise sur le gâteau domestique, la disparition de la mère, cantatrice idolâtrée par son musicien de mari, est empreinte de soupçons criminels. Ah, dieu que la guerre est jolie !

Aux commandes scéniques d’un texte à la structure un peu répétitive, Richard Brunel réussit un tour de force spectaculaire. Avec un propos qui risquerait de ne s’adresser qu’aux analystes et à leurs patients, il parvient brillamment à construire une mise en scène charnelle et onirique en s’appuyant sur les corps et les voix. Agitation, confusion, obnubilation, prostration, convulsion, tous les symptômes d’une frénétique encéphalite familiale trouvent magistralement leur incarnation théâtrale. La mise en scène, travaillée au scalpel, fait surgir des portraits de famille ressemblant à des I.R.M.

En outre, la scénographie d’Anouk Dell’Aiera contribue parfaitement à la radiographie implacable de cette tribu bourgeoise en complet déséquilibre. Circulation fréquente de rideaux blancs, ceux-là mêmes qu’on utilise dans les services d’urgence des hôpitaux pour isoler les déjà-morts des souffrants qui peuvent attendre. Déplacements répétés de longues tables à roulettes qui, bien qu’occupées par les coupes à champagne destinées à honorer le maestro, font explicitement penser à celles qui emportent les corps vers la salle d’opération ou la morgue. Ironique et glaçant. Délire oblige, il y a encore un yucca, lui aussi à roulettes, qui s’exprime comme un personnage sain d’esprit. La maison familiale est au bord du naufrage.

Il faut saluer aussi le travail du compositeur Stéphane Leach, de Thierry Ravassard, le directeur musical et de ses partenaires instrumentistes de l’ensemble In and Out. Tous participent grandement et finement à la qualité du spectacle. La partition contrapuntique excelle à décliner, de l’ouverture contemporaine à la comédie musicale en passant par la chanson ou la fugue classique, toutes les variations subtiles qui accompagnent les nuances des personnages et des atmosphères. Les dissonances mêmes des instruments, quand ils s’accordent, préfigurent les fêlures et les arrachements des protagonistes. Le lyrisme est aussi au rendez-vous lors des apparitions d’Adriana (Sandrine Sutter), épouse évanouie du père, inquiétante et déchirante. Dans le combat que mènent les héritiers du compositeur majuscule, orphelins de leur mère, la musique et son interprétation sont de précieux anxiolytiques contre les effets dévastateurs du silence.

Soulignons enfin, à l’exception du rôle du fils aîné, tenu par l’auteur de la pièce et joué de manière un peu univoque, le mérite des comédiennes et comédiens pour leur inventivité et leur engagement dans ce drôle de drame tragico-comique. René Loyon est le père, monument vivant et taiseux, capable de simuler la mort ou de ressusciter, alternant rouerie et jouissance sadomasochiste. Angélique Clairand interprète la fille, véritable électron libre et incontrôlable, à l’aise pour revendiquer sa vie non conformiste, érotiser ses rapports à autrui et faire mine de rentrer dans le rang. Nora Krief compose la belle-fille, désespérante de bonne volonté, délirante lorsqu’elle se défoule, bouleversante quand son intelligence refait surface. Éric Massé incarne le fils cadet, égaré dans son mutisme congénital, troublant dans son rapport à la féminité, rayonnant lorsqu’il arrive à dépasser son handicap. Mathieu Lebot-Morin, en journaliste insolent et obsédé par les indiscrétions sensationnelles, et Thierry Ravassard, en musicologue imbu et coincé, complètent efficacement la distribution.

Au total, le Silence du Walhalla se reçoit comme un excellent spectacle au propos fort et à la réalisation superbe. Richard Brunel a su faire de cette saga familiale déjantée un plaisir rare au théâtre : donner au public une occasion de recevoir un gai et terrible savoir. 

Michel Dieuaide


le Silence du Walhalla, d’Olivier Balazuc

Mise en scène : Richard Brunel

Avec : René Loyon, Olivier Balazuc, Angélique Clairand, Éric Massé, Nora Krief, Mathieu Lebot‑Morin

Avec la complicité du groupe d’amateurs : Robert Arnoux, Alicia Ballet, Virginie Brisson, Samuel Gounon, Irina Gueorguiev, Hugo Guichard, Céline Lhommet, Mélodie Pachoud, Christine Pradeilles, Guillaume Sabatier, Éric Sauze et Christian Wogenstahl

Sandrine Sutter : chanteuse lyrique

Musiciens de l’Ensemble In and Out : Thierry Ravassard (piano et direction musicale), Roger Germser (violon), Anne‑Gabrielle Lia‑Aragnouet (violoncelle), Tom Zed (clarinette)

Musique : Stéphane Leach

Dramaturgie : Catherine Allioud-Nicolas

Scénographie : Anouk Dell’Aiera

Lumières : Laurent Castaingt

Costumes : Dominique Fournier

Son : Olivier Gascoin

Mise en voix : Myriam Djemour

Collaboration au mouvement : Mathieu Lebot-Morin

Maquillage et coiffure : Mireille Sourbier

Assistanat à la mise en scène : Hugues de La Salle

Pianiste répétiteur : Teddy Gauliat-Pitois

Photo : © Jean-Louis Fernandez

Production : Comédie de Valence, C.D.N. Drôme-Ardèche

Avec la participation artistique du Jeune Théâtre national

Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69627 Villeurbanne cedex

www.tnp-villeurbanne.com

Réservations : 04 78 03 30 00

Représentations du 26 au 30 novembre 2013 à 20 heures

Durée : 1 h 30

Prix des places : 24 € plein tarif ; 18 € tarif option abonné et tarif groupe (8 personnes minimum) ; 13 € tarif réduit (moins de 26 ans, étudiants, demandeurs d’emploi, bénéficiaires de la C.M.U., professionnels du spectacle).

Le spectacle sera en tournée durant la saison 2014-2015

www.comediedevalence.com

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