« Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face », de Wajdi Mouawad, Théâtre des Abbesses à Paris

Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face © Mirco Magliocca

La mythologie pour les nuls

Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups

Que ceux qui n’aiment pas Wajdi Mouawad passent leur chemin. Nous l’adorons, et nous sommes donc d’autant plus navrés de ce pas de clerc heureusement commis à deux, qu’on peut voir en ce moment au Théâtre des Abbesses : « Le soleil ni la mort… », mis en bouillie par Dominique Pitoiset. Pour sa défense, il faut dire franchement que le texte n’est pas terrible.

Salle comble aux Abbesses, où se pressent journalistes, acteurs, metteurs en scène et décideurs de tous poils. Ça remue, ça bouge, ça s’interpelle de l’orchestre au balcon. « Machin ! C’est pas vrai !? — Et toi, Bidule, qu’est‑ce que tu fiches là ? — La même chose que toi, Trucmuche », puisque, comme disait Pierre Dux, « les Parisiens ne vont pas au théâtre mais à l’évènement ». Or c’en est un : une commande de Dominique Pitoiset, bon faiseur de théâtre français, à Wajdi Mouawad, meilleur poète international. On s’assied tout frétillant d’excitation et de gourmandise.

Thèbes, berceau de notre civilisation et de la psychanalyse, fut fondée par Cadmos. C’était il y a longtemps, il n’y avait même pas d’alphabet. C’est Cadmos qui l’a apporté aux hommes de la cité. Plus tard, Laïos en devint le roi après avoir commis le péché de pédophilie sur la personne de Chrysippe. Pour le punir, les dieux décidèrent qu’il serait tué par son propre fils : Œdipe.

Au centre du plateau, l’homme en effigie : un pantin attendant que ses manipulateurs (les dieux ?) lui donnent vie. De part et d’autre : les coulisses, à vue, avec leurs accessoires sur des étagères et des bancs pour attendre (Brechtie pas mort). Au fond, un grand écran, où apparaît le premier banc-titre : « 1 – Dieux ». Qu’est-ce que je disais ! Dix-neuf autres vont suivre à peu près aussi prévisibles.

Au premier plan, André Litolff accompagnera au piano scènes et intermèdes, se valant parfois, tout du long. Sa jolie musique hypnotise, mais louche tout de même beaucoup du côté de Phil Glass et de Yann Tiersen (Amélie Poulain). Pantomime du pantin, qui elle aussi a un petit air de déjà-vu (Genty, Kantor, Thierrée…). Et elle aussi reviendra, sous diverses formes, ponctuer le spectacle de sa poésie vaguement gnangnan.

Entrée des Cadméens en survet’ à capuche, sans quoi ça ne ferait pas postmoderne. C’est curieusement une fille (Nadia Fabrizio) qui interprète Cadmos, le « père » de tout ce qui va suivre : vingt tableaux, dont plus d’une quinzaine assommants. Le tout entrecoupé de dessins animés qui non seulement n’apportent rien mais finiraient par agacer.

Qu’est-ce qu’ils essaient de dire ?!, peste-t-on intérieurement, tandis que nos Cadméens, entretemps Thébains, infligent à un public de marbre leurs pseudo-profondeurs. Cela va du « Quelque chose me regarde. Qu’est-ce qui me regarde ? C’est l’attribut qui nous regarde. » ou « Pour pleurer il faut du plein et le monde est vide. » (sic !) jusqu’aux consternants « Ce qu’on quitte on le regrette aussitôt. » et [Œdipe] : « Qui peut accepter de devenir aveugle ? ».

C’est peu dire que l’auteur de Littoral, Incendies, Forêts ou Seuls (n’en déplaise à certains) est en petite forme. On dirait qu’il a pondu ce truc sur un coin de table entre deux avions. Le délassement du poète ! On n’a rien contre, mais alors pourquoi diantre tout ce chiqué ?! Les acteurs (Nadia Fabrizio, Nicolas Rossier, Philippe Gouin, tous trois fort bons) se retrouveraient avec nous sous un arbre pour nous conter tout cela avec le sourire, on serait content. Après tout on a le droit de sourire. Même (surtout ?) des dieux !

Restent quelques vraies scènes noyées dans ce bric-à-brac de fausses bonnes idées. Celle du dialogue d’Harmonie avec sa sœur, en fait elle-même. De la conversation nocturne de la même Harmonie avec Laïos tentant de se fuir. Des rencontres des héros avec les oracles, malgré ces perruques qui cachent intégralement leurs interprètes… Voilà de bien curieuses manières pour un metteur en scène par ailleurs si respectueux de ses acteurs…

Je retire ce que j’ai dit au début : à voir, pour les détracteurs de Wajdi Mouawad et de Dominique Pitoiset, qui nous ont, l’un comme l’autre, habitués à mieux. À beaucoup mieux. 

Olivier Pansieri


Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face, de Wajdi Mouawad

Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine

Mise en scène : Dominique Pitoiset

Avec : Nadia Fabrizio, Nicolas Rossier, Philippe Gouin

Scénographie : Dominique Pitoiset

Dessins animés, marionnettes : Kattrin Michel

Composition musicale : André Litolff

Conseil dramaturgique : Daniel Loayza

Assistant à la mise en scène : Noureddine el‑Ansari

Création lumières : Christophe Pitoiset

Bruitages : Dominique Aubert

Son : Michel Maurer

Vidéo : David Dours

Costumes : Odile Béranger

Conseil scénographique : Bertrand Nivelle

Manipulatrices marionnettes : Inka Arlt, Patricia Christmann

Photo : © Mirco Magliocca

Théâtre des Abbesses • 31, rue des Abbesses • 75018 Paris

Métro : Abbesses

Réservations : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

Du 16 septembre au 4 octobre 2008, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 heures, relâche le lundi

Durée : 2 heures

23 € | 15 €

Tournée : du 8 au 11 octobre 2008 à Lyon, du 14 au 16 octobre 2008 à Annecy, du 21 au 23 octobre 2008 à Meylan

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories