« Le Théorème du pissenlit », Yann Verburgh, Les Tréteaux de France, Théâtre des Abbesses, Paris

theoreme-du-pissenlit-Olivier-Letellier-Treteaux-de-France © Christophe-Raynaud-de-Lage

Semer des graines

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Comment agir sur le travail illégal des enfants ? Fable humaniste pleine d’espoir, « le Théorème du pissenlit » fait souffler sur scène un vent de liberté. Un excellent spectacle tout public, plein d’esprit, sensible, qui sème des graines de désobéissance.

C’est l’histoire d’un enfant qui reçoit un cadeau pour son anniversaire. Dans la boîte, figure une lettre, écrite par une petite fille qui a fabriqué son jouet à la mode. Drôle de boîte aux lettres ! Toujours est-il que cette lettre le mènera à parler, à agir pour enrayer la folle machine du travail à la chaîne.

Parallèlement, on suit la vie de Tao et Li-Na, qui habitent un village à flanc de montagne. Le jour de ses 13 ans, le garçon doit partir à la ville, dans une des usines du Pays-de-la-Fabrique-des-Objets-du-Monde . « Le cœur gelé », son amie part sur ses traces, guidée par la direction du vent et les graines de pissenlit. Au terme d’un périlleux voyage, elle le retrouve, épuisé par la chaîne, aux côtés d’autres gamins. Pour dénoncer le travail illégal des enfants, Li-Na commet alors la plus fantasque des insurrections. Elle commence par collecter des témoignages, comme celui reçu dans la boîte, et mise sur la solidarité.

Résilience et courage

« Poser, depuis l’enfance, un regard critique sur le monde adulte et lui inspirer le souffle d’une révolte aussi candide qu’engagée » : la note d’intention est claire. Et le projet tient ses promesses. Olivier Letellier, nouveau directeur des Tréteaux de France, a passé commande, à l’auteur Yann Verburgh, d’un texte sur l’enfance ailleurs. Ils se sont inspirés de ces messages d’appel à l’aide trouvés sur certaines étiquettes d’articles de mode. Autant de bouteilles jetées à la mer !

© Christophe Raynaud de Lage

Cette épopée convoque l’amitié, la nature comme terrain de jeu salvateur, l’imagination comme outil de résistance face à une autorité destructrice. Bien structurée, la pièce alterne récit choral et dialogues dramatiques. Tout s’emboîte parfaitement. Reconstituer le puzzle des mots est un enchantement. C’est malin et d’une infinie poésie, avec un style fleuri comme il se doit. Ce théorème-là nous parle. D’ailleurs, la langue est un terreau propice à inventer de belles images scéniques. Les séquences dans la nature sollicitent davantage l’imaginaire. Normal pour convoquer les esprits, ceux qui « noient les cauchemars dans la rivière ».

Bâtir un autre monde

« Ne pas parler, ne pas s’arrêter, ne pas se tromper », c’est justement une des règles à l’usine. Avant que la mise en scène, géométrique, fasse littéralement bouger les lignes, l’esclavage devient aussi très concret, ne serait-ce que par la manipulation. En effet, la pièce fait la part belle aux objets.

© Christophe Raynaud de Lage

Les mouvements qu’induisent les constructions / déconstructions du décor par les artistes portent le récit. Constituée de casiers à bouteilles en plastique, cette scénographie renvoie à la fabrique industrielle. Elle n’en demeure pas moins ludique, comme un jeu de Lego permettant de bâtir une maison, une tour, de figurer une forêt, un radeau de fortune, une chaîne d’assemblage. Relevons aussi le rôle crucial des éclairages qui délimitent bien les différents espaces, apportent des tonalités chaudes ou froides, selon les ambiances souhaitées.

Ne jamais baisser les bras 

Dans ce débordement, l’usage du diabolo, autrefois arme de guerre chinois, devenu instrument de cirque, mais surtout jouet que l’on retrouve partout dans le monde, est d’une grande pertinence. Entre inertie, équilibre et mouvement, le jonglage devient un langage à part entière. De plus, la forme étranglée du diabolo rappelle un sablier et l’écoulement du temps. La nécessité de ralentir. Ces respirations sont d’ailleurs utiles car le spectacle est très rythmé.

Les cinq danseurs, marionnettistes, jongleurs et comédiens déploient moult talents, au service du théâtre de narration très chorégraphié, qui est la signature d’Olivier Letellier. Conteurs, ils jonglent avec les mots. Devenus robots, ils mènent la cadence, soutenue par la percutante création sonore d’Antoine Prost. Tous formidables, ils ont aussi travaillé sur le dédoublement. Garçons et filles endossent indifféremment les rôles de Li-Na et Tao, ainsi que d’autres personnages. Le chœur s’adresse au public, à la deuxième personne du singulier, comme une manière de l’impliquer dans la reconstitution de l’histoire. Ce principe narratif place le spectateur au cœur de l’intrigue, l’entraîne à mener ces actions comme étant les siennes.

© Christophe Raynaud de Lage

Les comédiens, devenus robots, mènent la cadence, soutenue par la percutante création sonore d’Antoine Prost. Tous formidables, ils ont aussi travaillé sur le dédoublement. Garçons et filles endossent indifféremment les rôles de Li-Na et Tao, ainsi que d’autres personnages. Le chœur s’adresse au public, à la deuxième personne du singulier, comme une manière de l’impliquer dans la reconstitution de l’histoire. Ce principe narratif place le spectateur au cœur de l’intrigue, l’entraîne à mener ces actions comme étant les siennes.

Une utopie à hauteur d’enfant

Une belle énergie se dégage. La joyeuse effervescence des jeunes gens qui s’emparent du monde, depuis la scène, nous gagne naturellement. D’une voix, ils affirment qu’une simple parole peut être révolutionnaire. Persister. Comme la fleur − sauvage et résistante − qui grandit de la rue aux champs, depuis la simple fissure dans un trottoir, jusque là où le vent porte ses graines.

Mine de rien, Yann Verburgh ouvre la boîte de Pandore. Face à nos enfants scandalisés, comment justifier nos lâchetés, nous adultes plus ou moins complices, comme consommateurs ? Dans la pièce, père, commerçant, maire, journaliste, tous soumis à la pression sociale, en prennent pour leur grade. Les plus jeunes s’identifient et les plus grands en prennent de la graine. En tout cas, ce théâtre-là émeut et stimule la réflexion. Nul doute que des semences fleuriront ! 🔴

Léna Martinelli


Le Théorème du pissenlit, de Yann Verburgh

Site des Tréteaux de France
Mise en scène : Olivier Letellier
Avec : Fiona Chauvin, Anton Euzenat, Perrine Livache, Alexandre Prince, Antoine Prud’homme de la Boussinière et la voix de Marion Lubat
Assistanat à la mise en scène : Marion Lubat
Lumière : Jean-Christophe Planchenault
Création sonore : Antoine Prost, assisté d’Haldan De Vulpillières
Scénographie-accessoiriste : Cerise Guyon
Accessoiriste, régie plateau : Elvire Tapie
Costumes : Augustin Rolland
Conseiller artistique : Thierry Thieû Niang
Durée : 1 heure
Tout public dès 9 ans

Théâtre des Abbesses • Théâtre de la Ville • 31, rue des Abbesses • 75018 Paris
Du 14 au 18 mars 2023
De 5 € à 16 €

Tournée :
• Du 23 au 25 mars, Théâtre de La Manufacture, à Nancy
• Les 29 et 30 mars, Espace des Arts, à Chalon-Sur-Saône
• Du 5 au 7 avril, Le Grand T, à Nantes
• Du 12 au 14 avril, Maison des Arts, à Créteil
• Du 19 au 21 avril, Théâtre de Sartrouville, CDN des Yvelines
• Les 4 et 5 mai, Quai d’Angers, CDN
• Les 11 et 12 mai, Canal Théâtre, à Redon
• Les 15 et 16 mai, Scène nationale Bayonne Sud-Aquitaine, CDN
• Les 25 et 26 mai, Théâtre d’Angoulême
• Du 1er au 3 juin, Théâtre de Lorient, CDN

À découvrir sur Les Trois Coups :
Cartoon, de Mike Kenny, par Léna Martinelli
Focus Jeune public, Totem, Théâtre 11, par Laura Plas
De Passage, de Stéphane Jaubertie, Tréteaux de France

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