Festival d’animation
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Au contact des animations vidéographiques de son concepteur, Grégoire Pont, « l’Enfant et les Sortilèges » de Maurice Ravel, composé à partir d’un livret de Colette, peine à imposer ses émotions malgré la direction musicale impeccable de Titus Engel.
Nombreux sont ceux qui connaissent l’histoire quelque peu surannée aujourd’hui que Colette proposa à Ravel de mettre en musique, sous forme de ballet, et que le musicien transforma en un opéra d’une heure à peine, en deux parties. La première se déroule dans la chambre d’un enfant d’une maison bourgeoise. Sa mère, plutôt castratrice, l’y enferme pour l’obliger à finir ses devoirs. Pris d’une colère dévastatrice, le jeune garçon ravage tout son univers familier, mais mobilier, objets et animaux se révoltent. La deuxième a pour cadre le jardin nocturne où le gamin poursuit ses agressions ordinaires contre les arbres, ses violences gratuites contre les bêtes qu’il finit par tuer. Alors, c’est au tour de toutes les créatures de se rebeller puis de faire preuve de mansuétude lorsque l’enfant soigne un écureuil blessé et appelle au secours avec elles sa maman. Ainsi s’achève de façon moralisatrice une fable écrite par Colette comme « un divertissement pour [sa] petite fille ».
La postérité de l’Enfant et les Sortilèges, une œuvre composée et créée en 1925, a heureusement surtout retenu la sophistication imaginative de la musique de Maurice Ravel. Presqu’un siècle après, ce qui enchante naît de la virtuosité d’un compositeur au sommet de son art. Mélodies impressionnistes, airs jazzy, arias et fugues, danses de toutes les époques, chœurs parlés constituent une mosaïque chatoyante et insolente sans avoir peur des dissonances ou de la parodie. L’orchestre et les choristes de l’Opéra de Lyon dirigés par Titus Engel s’emparent brillamment de la partition. Ils passent finement d’un registre à l’autre, gèrent avec délicatesse les temps de silence, prenant un plaisir visible à préparer une nouvelle surprise musicale. Comme ils sont confinés derrière un fin rideau translucide, leur relatif éloignement invite souvent le spectateur à fermer les yeux pour s’imprégner pleinement des inventions de Ravel.
Trop-plein
Pour échapper au premier degré et au grotesque des mises en scène traditionnelles de l’Enfant et les Sortilèges, dans lesquelles les chanteurs avaient à supporter d’être déguisés en horloge, théière ou chauve-souris, cette version a choisi d’en confier la réalisation à un illustrateur et vidéographe de renom, Grégoire Pont. Sur le plan des images et des effets spéciaux qui accompagnent le spectacle, la réussite est indiscutable. En revanche, le prix à payer pour permettre à la technologie de déployer ses fastes pèse lourdement sur l’espace laissé aux interprètes. Vêtus de gris, agissant fréquemment dans la pénombre, ils ont bien du mal parfois à faire exister leurs personnages. Au fil des séquences, les séduisantes animations projetées sur un gigantesque écran, où Grégoire Pont démontre son inventivité débridée et poétique, installent le public dans la situation d’assister à une séance de film d’animation. Pas sûr que l’écoute de l’opéra de Ravel y gagne. Pas sûr qu’une certaine « disneyisation » soit le meilleur moyen d’initier les plus jeunes des spectateurs à l’art lyrique. ¶
Michel Dieuaide
L’Enfant et les Sortilèges, opéra de Maurice Ravel sur un livret de Colette
Direction musicale : Titus Engel
Concept et vidéo : Grégoire Pont
Mise en espace : James Bonas
Décors et costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Lumières : Christophe Chaupin
Cheffe des chœurs :Karine Locatelli
Avec les solistes du Studio, l’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Lyon
Production : Opéra de Lyon, en partenariat avec l’Auditori de Barcelone
Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon
Réservations : 04 69 85 54 54
Du 14 au 19 novembre 2019
De 10 € à 60 €
Durée : 1 heure environ