Écritures dramatiques : Lyon au cœur de la décentralisation
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
À Lyon, aussi, les auteurs émergents sont à l’honneur. Le festival Les Contemporaines a apporté son lot de découvertes. Quant au Prix Incandescences, qui commence le 18 juin, il devrait mettre en lumière le meilleur de la création théâtrale.
Un mot pour présenter Les Contemporaines, qui concrétise le travail commun de deux associations distinctes (mais pas tant que ça…), En Acte(s), porté par Maxime Mansion depuis huit ans, et Les Journées de Lyon des autrices et auteurs de théâtre, nées en 1996 et dirigées sur le plan artistique par Pauline Hercule.
Commençons par Les Journées de Lyon qui s’est donné pour mission d’organiser le premier concours d’écriture dramatique francophone. Chaque année, plusieurs centaines de tapuscrits leur arrivent, sont lus par un comité de lectures très diversifié. Chacune de ces œuvres bénéficie d’au moins trois lectures différentes, pour un choix des lauréats le plus équitable possible. Il peut s’agir d’un texte écrit ou traduit en français. L’idée est de proposer à des éditeurs de textes dramatiques cinq textes ainsi sélectionnés. Ils font ensuite l’objet de lectures publiques mises en espace.
Les textes : matière première du théâtre
Parmi eux, nous avons pu voir Le Projet Handke de Jeton Neziraj, traduit par Sébastien Gricourt et mis en espace (mais en réalité mis réellement en scène par Gilles Chabrier) pour cinq acteurs dont le metteur en scène et la jeune et pétulante Amélie Zekri : un spectacle engagé qui retrace et analyse avec un humour décapant la stylistique du négationnisme qui a permis à Peter Handke, tout en niant le massacre de Srebrenica et en pleurant la mort de Milosevic pourtant condamné par le Tribunal pénal international, de rafler le Prix Nobel avec le silence complice de l’Europe. Ce livre a été publié aux éditions L’espace d’un instant.
Autre exemple de lecture qui a bénéficié d’une vraie mise en scène de Lucile Lacaze, Chacun pour un, deux pour tous, du camerounais Édouard Elvis Bvouma, édité par Lansman. Il s’agit là d’un texte résolument engagé sur la manière dégueulasse dont les tirailleurs sénégalais ont été traités par l’armée française. Sur le plateau, deux magnifiques comédiens, Erwan Vinesse et Baratunde Ba Muhoya Ali Muhoya éclairent ce puzzle historique pour reconstituer une vérité peu ragoutante cachée sous des mensonges d’État. Cela se suit comme un thriller, c’est formidable.
Continuons avec En Acte(s), devenus Labos En Acte(s), la notion ajoutée éclairant encore mieux la démarche. Là, les textes qui font l’objet d’une commande sont immédiatement vus comme des supports de spectacles. Supports nécessaires, certes, mais dès le départ, Maxime Mansion a décrit ainsi son projet : offrir aux auteurs un cadre de jeu pour leur langue. Ainsi son équipe et lui mettent-ils en contact ces derniers avec des metteurs en scène en posant des contraintes qui, comme chacun sait, stimulent les processus de création : écrire une pièce d’une heure maximum, pour cinq comédiens maximum ; faire écho à l’actualité ou penser la nécessité de l’écriture : travailler le projet en 10 jours maximum de répétitions, une création sur tréteaux, sans régie son ni lumière, tout devant naître du plateau. Cette démarche est incroyablement efficiente.
Parmi ce que nous avons pu voir, citons Ticket pour l’oubli de l’excellente Claire Barrabès, un one man show porté par la comédienne Juliette Savary, plongée bouleversante au cœur de l’intimité d’une femme, un texte qui commence dans les rires pour terminer la gorge serrée. Quant à Une histoire d’amitié, ce texte de Mathilde Souchaud est subtilement mis en scène par Thomas Poulard pour deux comédiennes sensibles et justes, Jasmine Bouziani et Sabrine Ben Jima. Dans ce spectacle intime, qui devrait joyeusement tourner autour des retrouvailles de deux amies, les non-dits apparaissent, l’inquiétude s’installe : que cache ainsi Yasmine qui la rend si bizarre, si fermée ; pourquoi ne veut-elle pas que son amie Assia entre dans la chambre de sa fille, par peur de la réveiller et de faire renaître d’affreux cauchemars ?
La scène au cœur des textes
Fruit d’une collaboration entre les Célestins de Lyon et le TNP de Villeurbanne, le Prix Incandescences donne les moyens à de jeunes compagnies (et souvent de jeunes auteurs) de réaliser des projets (appelées maquettes), et même de réaliser en grandeur réelle des spectacles déjà présentés dans une semi clandestinité. Après les présentations, le jury désignera un lauréat dans chaque catégorie : Le lauréat du Prix Incandescences Maquettes se verra attribuer un apport en coproduction et une programmation en 2025-2026 aux Célestins ; Le lauréat du Prix Incandescences Spectacles sera programmé au TNP.
Dans la série maquettes, nous irons voir assurément Komorebi, un projet de Clémentine Allain, une habituée des spectacles d’Olivier Maurin ( Dom Juan, Illusions, de Viripaev). À suivre, le second spectacle de Jules Benveniste, très remarqué dans sa première création sur Pasolini ; Wonnangatta qui a reçu une aide à la création d’Artcena, mis en scène par Benoît Martin, remarqué pour Un tramway nommé désir ; England de Tim Crouch, mis en scène du très inventif Studio monstre ; L’Amorale, de Marion Aubert, dont on avait adoré l’excellent Surexposition(s) Patrick Dewaere. Florilège subjectif, on a envie de tout voir !
Au rayon des spectacles, le choix sera là encore difficile, mais pourquoi se limiter ? Tous ont fait leurs preuves. Citons Ladilom, de Tünde Deak, membre de l’équipe artistique réunie autour de Marc Lainé, Les Sentiments du Prince Charles, d’après la bande dessinée du même nom, très applaudi à sa sortie dans le petit théâtre de l’Élysée, ou encore L’Âge de détruire, de Pauline Peyrade.
Citons deux spectacles que nous avons vus et beaucoup aimés lors de leur sortie de résidence, Vive, de Joséphine Chaffin, par Clément Carbédian et Mesure pour mesure, par Lucile Lacaze. Signalons enfin la Nuit je rêverai de soleils, de Anca Bene, publié aux éditions L’espace d’un instant.
Il y a encore maints événements, comme l’atelier d’écriture qu’a animé Samuel Gallet à L’Assemblée, fabrique artistique, et qui se termine par une sortie de résidence, Le Pays innocent. On peut citer enfin l’initiative du Ciel, le nouveau théâtre pour l’enfance et la jeunesse dirigé par Mathieu Loos qui met la création européenne au cœur de son projet : elle occupe la moitié de la programmation, s’appuie sur des échanges à l’intérieur du réseau européen pour promouvoir le repérage et la diffusion de textes méconnus sur d’autres terres que les leurs, notamment dans le domaine de la traduction.
Tous préparent déjà la fête des écritures théâtrales pour l’enfance et la jeunesse portée par Assitej France le 1er juin 2025. Lyon n’a pas encore tout dit ! 🔴
Trina Mounier
Les Contemporaines
Du 28 mai au 8 juin 2024
Site
Théâtre National Populaire • 8 place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne • Tel. : 04 78 03 30 00
Prix Incandescences
Du 18 au 22 juin 2024
Site
Théâtre National Populaire • 8 place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne • Tel. : 04 78 03 30 00
Tarifs : 5 € ou 7 €
Réservations : 04 78 03 30 00 • en ligne
Théâtre des Célestins • Place des Célestins • 69002 Lyon • Tel. : 04 72 77 40 00
L’Assemblée, fabrique artistique • 17, bis rue St-Eusèbe • 69003 Lyon • Tel. : 04 28 29 50 02
Le ciel, scène européenne pour l’enfance et la jeunesse • 22, rue du Commandant Pégout • 69008 Lyon • Tel. : 04 81 65 68 84
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les Contemporaines 2022, TNP, Villeurbanne, par Trina Mounier
☛ Des auteurs en quête d’acteurs, par Trina Mounier
☛ Les écritures dramatiques actuelles et la jeune création à l’honneur, par Léna Martinelli
Photos :
• Une : « Vive », cie Superlune © Julie Chekri
• Mosaïque 1 : « L’Amorale », Marion Aubert © Julien Rocha ; « Matcha Girl » © Axelle Coquelet
• Mosaïque 2 : « Ticket pour l’oubli », Claire Barrabès © Émile Zeizig ; « Une histoire d’amitié », Mathilde Souchaud © Émile Zeizig
• Mosaïque 3 : « Vive », cie Superlune © Julie Chekri ; « Mesure pour mesure », Lucile Lacaze © Christophe Vauthey