Exil et promiscuité
Par Anne Losq
Les Trois Coups
Dans un espace exigu, deux personnages, qui n’ont rien en commun sinon leur condition d’émigrés, vivent ensemble. Des tensions sourdes et journalières les empêchent d’établir une vraie complicité, et leurs différentes visions de la vie sont toujours remises en question par l’autre. Une pièce intéressante sur les rapports humains dans le cadre de l’exil.
La scène est d’abord vide. Ce sont les comédiens qui montent le décor en traînant de grosses valises sur le plateau. Ils ouvrent ces malles, qui deviennent des pans de mur auxquels est attaché un décor : deux lits qui se font face, un coin cuisine et un coin salle de bains. Cette façon de construire le décor à partir de valises est un bon choix de mise en scène qui indique déjà, et de manière visuelle, l’un des thèmes clés de la pièce : le déplacement continuel des hommes lorsqu’ils émigrent.
Ces deux personnages ne se sentent pas chez eux dans la cave qu’ils partagent. Ils cultivent tous deux des rêves qui les transportent hors de la petite pièce, vers un avenir fantasmé, merveilleux. L’un se réfugie dans les livres et la connaissance, l’autre dans des projets de construction d’une grande maison de retour « au pays ». Mais ces rêves qui ne se concrétisent pas se transforment peu à peu en frustration et en désenchantement. Dans la chambre partagée, les deux personnages (qui ont pour seuls noms AA et XX) s’affrontent physiquement pour exorciser leur malheur et leur énervement.
Les deux comédiens restituent avec justesse les sentiments d’agacement et de frustration liés à leur condition, et le public sent bien la tension sourde qui s’immisce entre eux au fur et à mesure de leur cohabitation. Mais, parce que la pièce est assez bavarde, peut-être aurait-il fallu plus de modulation dans le ton et de subtilité dans le jeu afin de rendre les personnages moins archétypaux. Parce que ces deux personnages sont des figures – l’intellectuel et l’ouvrier paysan – plus qu’ils ne sont des personnages singuliers, les comédiens ont pour défi d’humaniser et de subjectiver ces personnages-emblèmes. La tâche est difficile, et les comédiens réussissent à créer une vraie émotion dans l’affrontement ultime. L’image de fin est belle et poignante. Elle cristallise tous les arguments et les émotions présentés au cours de la pièce.
Le metteur en scène Karim Arrim s’est lancé le défi de traiter de l’émigration sur scène avec une pièce qui allie humanisme et arguments politiques. Comme beaucoup d’œuvres théâtrales engagées, celle-ci hésite parfois entre l’élaboration d’une thèse sur l’émigration et l’envie de raconter l’histoire simple de deux hommes perdus. D’une certaine manière, c’est ce qui fait l’intérêt du théâtre politique : essayer de poser des problèmes objectifs tout en faisant vivre des personnages qui ne se limitent pas à illustrer un propos.
Ainsi, grâce à une mise en scène claire et à l’utilisation d’images percutantes, Arrim réussit à dépeindre les paradoxes de la condition des exilés et à nous faire partager leurs problèmes. ¶
Anne Losq
les Émigrés, de Slawomir Mrozek
Cie Volubilis et association L’Art ou cochon • chemin du Pas‑de‑la‑Paille • B.P. 630 • 66000 Perpignan
04 68 54 10 76
Mise en scène : Karim Arrim
Avec : Thierry Coma et Michael Appourchaux
Création décors et costumes : Morgane Vinit
Création lumière : Frédéric Dubreuil
Création sonore : Thierry Cailheton
Musique originale : Nilco
Régie générale : Jean Dianteill
Le Funambule • 16‑18, rue Joseph‑Vernet • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 14 69 29
Du 10 juillet au 2 août 2008 à 14 h 15
13 € | 10 €