« Longwy Texas », de Carole Thibaut, la Maison des Métallos à Paris

« Longwy Texas » de et avec Carole Thibaut © ZEF

Une indienne au pays des cowboys

Par Laura Plas

Les Trois Coups

Avec « Longwy Texas », Carole Thibaut fait résonner une parole vive et irrévérencieuse sur le monde patriarcal des aciéries. Un acte politique bien sûr, mais un acte poétique, surtout, qui confirme une voix d’auteure. Au féminin singulier, évidemment.

Sur scène, entre une femme vêtue élégamment d’une petite robe noire : robe d’enfance, robe de deuil ? À côté d’elle, on découvre un écran comme on en trouverait dans n’importe quelle salle communale. Il joue un simple rôle documentaire. D’ailleurs, les films et photos qui s’y déroulent ne sont pas très bien exposés, ni très bien cadrés : ce sont des archives familiales. C’est bien peu, dira-t-on.

Peu importe car la scène est conçue, ici, comme le lieu où se déploie une voix. Or, cette voix suffit à nous emporter. Elle relate avec tendresse et exigence la geste de Longwy, cette ville de Lorraine surnommée jadis le « Texas français ». Elle est parole en acte, parole vive : c’est en quoi elle nous paraît précieuse. En effet, si Carole Thibaut a le texte en main, elle ne le sait pas par cœur. Elle le redécouvre plutôt avec nous. Elle le dit comme elle ne l’a jamais fait, comme elle ne le fera plus jamais et comme cela se produit seulement au théâtre.

Le texte lui-même a été repris, retouché pour parler de nous, aujourd’hui. Il évoque ainsi l’écho que trouve l’histoire de Longwy à la Maison des Métallos, il tempête contre la violence policière, les discours racistes, le sort de ceux qu’on laisse crever en Méditerranée.

L’art du double « je »

Il ne s’agit donc pas seulement du passé, ni de Longwy. Peut-être n’est-il même pas essentiellement question de ses ouvriers et de leurs luttes ? Cette légende dorée, héritage paternel, est en effet ré-interrogée. Elle est contée à la première personne du singulier, par la petite porte de l’intime, ce qui nous laisse paradoxalement plus de place.

Par ailleurs, la duplicité de cette première personne (je adulte/ je de l’enfant) a une grande force dramatique. En effet, la candeur de l’enfant met en évidence la brutalité du comportement des pères vis-à-vis des femmes, des filles et des travailleurs immigrés du Maghreb. Elle met encore à distance la tragédie grâce à un humour irrévérencieux et salvateur. Les patrons avaient peur des larmes des femmes, ils auraient dû craindre leur rire…

Ensuite, Carole Thibaut gratte l’or de la légende pour faire émerger en palimpseste de nouveaux visages : ceux des femmes de Longwy, et notamment le sien. Comme l’aura du père vacille, les femmes peuvent sortir de l’ombre et advenir à la lumière de la scène. Quand le père se tait, c’est la mère qui répond, c’est la fille qui conserve la mémoire. Quand les hommes courbent l’échine un soir de nouvel an, c’est une passionaria qui proteste. Elle devient la nouvelle figure de tutelle et de filiation de Carole Thibaut.

Longwy Texas narre ainsi comment une petite fille devient elle-même, comment l’héritière d’une lignée de patrons rompt un jour pour devenir comédienne et trouver sa propre voix. Le philosophe Jacques Rancière explique que la politique advient quand ceux qui sont privés de parole la prennent pour exiger qu’on reconnaisse leur existence.

Carole Thibaut signe donc un bel acte politique. Par la qualité de son écriture, elle peut revendiquer aussi un acte poétique de haute tenue. 

Laura Plas


Longwy Texas, de Carole Thibaut

Mise en scène : Carole Thibaut

Avec : Carole Thibaut

Durée : 55 minutes

À partir de 14 ans

Présentation vidéo

Photo © ZEF

Maison des Métallos • 94, rue Jean-Pierre Timbaud • 75011 Paris

Du 9 au 13 mai 2018, le mercredi et le vendredi à 20 heures, le jeudi et le samedi à 19 heures, le dimanche à 16 heures

De 5 € à 15 €

Réservations : 01 47 00 25 20


À découvrir sur Les Trois Coups :

Monkey Monkey, L’Idéal, à Tourcoing, par Sarah Elghazi

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