Revivre par la scène
Par Salomé Baumgartner
Les Trois Coups
En 1961, la poétesse américaine Sylvia Plath mourrait à l’âge de trente ans. La Cie Winterreise la fait revivre le temps d’un spectacle, à l’occasion de l’inauguration « Textes en jeu » au Théâtre Dunois, un cycle qui met à l’honneur des auteurs contemporains.
On ne connaît pas tous Sylvia Plath. Pourtant, en sortant de Lullaby de la Cie Winterreise, on a l’impression qu’elle est venue elle-même sur scène se raconter au public. Formidablement incarnée par l’actrice Sandra Basso (qui lui ressemble beaucoup physiquement), la pièce retrace sa vie, de son entrée au Smith College jusqu’à son suicide en 1961, à travers ses correspondances et ses journaux. Un portrait d’une grande justesse.
Sur le plateau, Sylvia Plath est accompagnée de Ted Hugues, qu’elle a rencontré lors d’une soirée en 1956 et qui, dès lors, ne l’a plus quittée. Lui aussi prend la parole. Des poèmes extraits de Birthday Letters, recueil qu’il a écrit trente-cinq ans après la mort de la jeune femme, viennent rythmer la pièce, nous offrant alors un regard rétrospectif sur ce qu’a été la vie de la poétesse. Joshua Tyson interprète avec une très grande finesse ce poète oscillant sans cesse entre la joie des moments de bonheur et la dépression des heures les plus sombres.
Dans la pièce, Sylvia Plath et Ted Hugues ne parlent pas la même langue. Si les écrits de la poétesse ont été traduits en français, les poèmes de son mari sont, tout au long de la représentation, conservés dans leur langue originale, l’anglais. Cependant, le spectateur oublie au fur et à mesure que la pièce jongle entre les deux. Il faut dire que l’acteur est lui-même américain, ce qui contribue au passage naturel du français à l’anglais. Distance dans la langue, distance dans le temps : Lullaby fait résonner véritablement deux voix poétiques, tout en laissant le devant de la scène à la jeune femme.
Paroles d’une femme
Le charme de cette pièce tient notamment à l’univers dans lequel nous plonge le metteur en scène. Le musicien et chanteur Justin Mast y interprète les musiques de Johnny Cash, Leonard Cohen et Django Reinhardt. Le décor composé de quelques éléments très simples nous permettent aisément de franchir les années, de la chambre à l’université à l’appartement des deux artistes.
Les paroles déchirées de la poétesse résonnent alors d’autant plus fort sur la scène. Femme à l’âme blessée, elle fait de nombreuses tentatives de suicide et connaît même l’hôpital psychiatrique. Elle apparaît comme enfermée dans la société de l’époque, freinée par sa condition de femme qui la définit uniquement comme épouse et mère. Aujourd’hui encore, elle reste dans les pays anglophones une figure emblématique du féminisme.
Lullaby signifie berceuse. La pièce redonne vie à Sylvia Plath le temps de la représentation, et, telle une élégie, elle la conduit à l’assoupissement. Un vibrant hommage. ¶
Salomé Baumgartner
Lullaby, d’après Sylvia Plath et Ted Hugues
La correspondance de Sylvia Plath est éditée par l’édition des Femmes – Antoinette Fouque et Birthday Letters de Ted Hugues est édité chez Gallimard
Mise en scène : Olivier Dhénin
Avec : Sandra Basso et Joshua Tyson
Lumière : Anne Terrasse
Costume : Hélène Vergnes
Chorégraphie : Nina Pavlista
Régie : Héloïse Fizet
Durée : 1 h 25
À partir de 15 ans
Théâtre Dunois • 7, rue Louise Weiss • 75013 Paris
Du 7 au 10 décembre 2019, samedi à 20 heures, lundi et mardi à 19 heures, relâche dimanche
De 8 € à 16 €
Réservations : 01 45 84 72 00 ou par mail
Tournée :
Du 12 au 14 décembre 2019, au Musée Hèbre, à Rochefort (17)
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