« Mahabharata‐Nalacharitam », carrière de Boulbon

Dessin de Vincent Croguennec inspiré par « Mahabharata-Nalacharitam »

Féerie à flanc de falaises

Par Lise Facchin
Les Trois Coups

Loin des prétentions cérébrales du théâtre de certains, la troupe japonaise de Satoshi Miyagi nous offre un épisode du « Mahabharata » de toute beauté, généreux et drôle.

La carrière de Boulbon convoque à elle seule toutes les hordes sauvages de la magie. Les feux follets se cachent derrière les frêles troncs d’épineux, les djinns se collent à la vertigineuse pierre blanche et les génies semblent tapis dans les recoins de caillasse… Un lieu où « tout est plein d’âmes » *, comme dirait Hugo, grand contemplateur et amateur de surnaturel, et Miyagi a su tirer parti de cela.

Loin de l’entreprise de Peter Brook qui mettait en scène l’intégralité du poème épique indien, c’est ici l’épisode du roi Nala qui est conté. Une très belle jeune femme, convoitée par le dieu Kali, épouse Nala, vertueux, courageux et bon. Vexé, Kali fait le vœu de le rendre misérable et s’introduit dans son corps. Commence alors une série d’épisodes funestes qui iront jusqu’à séparer les époux qui n’auront de cesse de se chercher.

Sur une scène circulaire, placée au-dessus des têtes des spectateurs sur fond nu de falaise, le spectacle s’ouvre sur la procession du mariage de Nala et Damayanti, précédée par son ombre gigantesque. Les spectateurs, ébahis, ont vu arriver une armée de Titans se détachant sur la pierre blonde de la carrière… Une entrée qui donne le ton du spectacle : en dix minutes, l’auditoire avait cinq ans et ses yeux brillaient de tout l’éclat du merveilleux.

Une mêlée de délicatesse et de fantastique

Adapter à la japonaise ce texte fondamental de la culture indienne était un pari ambitieux. Sans jamais « japoniser » ni le texte ni l’histoire, Miyagi a eu l’intelligence d’introduire le Japon par les costumes, les coiffures et la gestuelle, ainsi que par la forme. Assez surprenante pour le spectateur occidental, elle repose sur une séparation des fonctions parmi les comédiens : ceux qui racontent (assis sur la scène en marge de l’action mais en y pénétrant parfois), ceux qui portent l’action par leurs corps (dont la voix n’est entendue que de manière exceptionnelle) et les musiciens. Poreuses, ces catégories se rencontrent parfois pour former des ressorts comiques tordants – comme lorsque les musiciens mettent en scène une étrange publicité pour une boisson nommée d’après le nom de l’héroïne.

Quel bonheur que ces comédiens généreux aux corps libres, portés par l’énergie merveilleuse de ces comédiens-musiciens ! Quel talent que ce narrateur, capable d’interpréter tous les rôles, en tension pendant une heure et demie ! Quelle drôlerie que ce travail sur les corps et les postures capables de nous faire tenir les côtes par un seul geste bien pensé ! Une précision et une simplicité dont beaucoup de metteurs en scène français devraient à coup sûr prendre les leçons…

La scénographie, quant à elle, est génialement inexistante. C’est sur un plateau vide que les comédiens portent cette belle histoire d’amour, à l’aide d’éléments plus merveilleux les uns que les autres, comme cet énorme tigre de papier manipulé par des tiges de bois ou cette caravane évoquée par un théâtre fait de silhouettes en papier découpé. Éléments d’un parti pris esthétique d’une grande réussite, en misant tout sur les blancs, Miyagi prolonge le merveilleux de la carrière. Les splendides costumes japonais structurés et pleins de plis, les masques de papier, semblent les échos de la pierre, s’articulant avec bonheur à un environnement dont le fantastique les éclabousse.

Les ressorts dramatiques, de la marionnette au théâtre de masques et de papier, en passant par la comédie populaire et la danse, sont sans cesse surprenants et d’une vitalité lumineuse. Ce spectacle nous rappelle que le théâtre est là pour nous faire croire à l’histoire qu’il porte et que, pour cela, il n’a besoin de rien d’autre que des corps vivants. Lorsque les échelles, les matières, les couleurs, ne reproduisent pas le réel et que l’acteur dit « Ceci est une forêt », le miracle du théâtre c’est que le spectateur y croit. 

Lise Facchin

* « Ce que dit la bouche d’ombre » in les Contemplations, de Victor Hugo.


Mahabharata-Nalacharitam

En japonais surtitré français

Mise en scène : Satoshi Miyagi

Adaptation : Satoshi Miyagi et Azumi Kubota

Avec : Kazunori Abe, Naomi Akamatsu, Moemi Ishii, Yoneji Ouchi, Kouichi Ohtaka, Sashiko Kataoka, Yukio Kato, Kotoko Kiuchi, Yuumi Sakakibara, Yu Sakurauchi, Yuzu Sato, Mari Suzuki, Yuya Daidomumon, Momoyo Tateno, Ayako Terauchi, Yuki Nakamura, Maki Honda, Ryuji Makino, Yudai Makiyama, Micari, Fuyuko Moriyama, Miyuki Yamamoto, Hisashi Yokoyama, Ryo Yoshimi, Yoishi Wakamiya, Takahiko Watanabe

Musique : Hiroko Tanakawa

Paysagiste : Junpei Kiz

Dramaturgie : Yoshiji Yokoyama

Costumes : Kayo Takahashi

Accessoires : Eri Fukasawa

Coiffure et maquillage : Kyoko Kajita

Lumière : Koji Osako

Son : Ryo Mizumura, Hisanao Kato

Dessin de Vincent Croguennec inspiré par « Mahabharata-Nalacharitam »

Carrière de Boulbon • Z.A. du Colombier • 13150 Boulbon

Réservations : 04 90 14 14 14

Site : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2014/mahabharatanalacharitam

Du 7 au 19 juillet 2014 à 22 heures, relâche le 9 et le 16 juillet 2014

Durée : 1 h 50

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