« Mansarde à Paris ou les Détours Cioran », d’après Matéï Visniec, Théâtre du Balcon à Avignon

Emil au pays des merveilles

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups

Que de beau monde au Balcon pour ce Off 2008. À commencer (le matin) par le prometteur Radu Afrim, un Roumain déjà primé, que l’on retrouvera la saison prochaine sur la scène de l’Odéon, qui présente ici sa création « Mansarde à Paris ou les Détours Cioran », d’après Matéï Visniec. Cent minutes dans l’esprit noir du sieur Cioran, avec la couleur en plus.

On pensait le pauvre Emil, ce professeur d’ironie, porté aux « cimes du désespoir », on le retrouve sous le feu des projecteurs, dans une ambiance kitsch et bigarrée. De blancs lapins tombent en pluie, une chouette empaillée à roulettes glisse sur un sol en vinyle, poussée par un professeur de philosophie en camisole, cheveux hirsutes et corps musclé, sous le regard d’une Boucle d’or au masculin, claquettes aux pieds… Cioran version Visniec, c’est Emil au pays des merveilles. Tortueux, baroque, illogique. Savoureux. Les Détours Cioran, précise le titre. Et, en effet, le travail de mise en scène de Radu Afrim rend grâce au mystère de la pensée Cioran, une pensée lâchée par aphorismes, qui fait fi de la phrase intelligente et du bon sens. Un parler poétique, en somme, où le bien comprendre est une absurdité. Où les détours sont méthodiques.

Les jeux de lumières subtils, les costumes colorés, la sonorisation pertinemment introduite et les quelques accessoires hétéroclites jetés sur le plateau participent de cette atmosphère onirique à la beauté plastique remarquable. Seule la vidéo, pourtant parfaitement employée, reste sous-exploitée. Ce décor finalement assez nu mériterait en effet d’être habillé plus longtemps ou plus régulièrement d’une projection vidéo d’aussi bonne qualité.

L’inventivité de la scénographie est à l’image de la mise en scène, dynamique, pleine de verve et d’esprit. Les entrées et sorties, rythmées et bien conçues, encadrent des scènes de mime, de danse, de chant, de claquette, de combat ou de tango finlandais, et donnent la cadence d’une course folle. Si l’on peut regretter un certain manque de rigueur dans les chorégraphies, parfois même dans le jeu – imputable semble-t‑il à la nature du travail préparatoire fondé sur l’improvisation –, le spectacle dans son ensemble est néanmoins porté avec talent par sept comédiens cosmopolites (roumains, luxembourgeois, français) étonnants. Au rang desquels, Valéry Plancke, qui, dans le rôle du professeur de philosophie, sorte de Monsieur Loyal qui mène le bal, est remarquable.

Cette petite incursion dans les profondeurs de « l’esprit du sieur Cioran », aurait pu être un enfer, une forme de cours de philosophie, de leçon de désespoir, voire de biographie pathétique du vieux Cioran, lui dont l’esprit devint débile (la faute à Alzheimer, qui lui ôta la possibilité même du suicide, la seule élégante sortie de vie). Mais, par bonheur, il n’en est rien. La langue de Visniec, l’euphorie de son univers transforment le voyage dans les méandres de ce cerveau malade en une joyeuse mascarade parfaitement orchestrée par Radu Afrim. Et le Roumain, que l’on disait professeur de désespoir, de devenir, grâce à eux, porteur de vie, d’espoir et de sourire. 

Cédric Enjalbert


Mansarde à Paris ou les Détours Cioran, d’après Matéï Visniec

Kulturfabrik ASBL • 116, rue de Luxembourg • 4221 Esch‑sur‑Alzette • Luxembourg

www.kulturfabrik.lu

Mise en scène : Radu Afrim

Avec : Constantin Cojocaru, Maeja Leena Junker, Andrei Elek, Valéry Plancke, Marie‑Lune, Elena Popa, Luc Schiltz

Vidéo : Mihai Pacurar et Mihai Sibianu

Lumière : Karim Saoudi

Théâtre du Balcon • 38, rue Guillaume‑Puy • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 85 00 80

Du 10 juillet au 2 août 2008 à 10 h 15

Durée : 1 h 40

16 € | 11 €

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