Une invitation au voyage décevante
Par Morgane Patin et Léna Martinelli
Les Trois Coups
Avec « Marco Polo et l’Hirondelle du Khan », Éric Bouvron nous invite dans un Orient fabuleux, sur les traces de personnages historiques. Un périple haut en couleur qui stimule l’imagination, mais ne tient pas entièrement ses promesses.
C’est à l’époque du sanguinaire Kublai Khan, petit‑fils de Ghengis Khan, que nous transporte la pièce. Il est plus précisément question de la rencontre de Marco Polo avec le vieil empereur et sa quatrième épouse, son « hirondelle », aussi belle que fascinante. En pleine expansion de son empire, la Chine telle que nous la connaissons aujourd’hui, le grand souverain mongol accueille chez lui ce jeune Vénitien, un pion qui lui semble nécessaire à ses conquêtes. Or, si Marco Polo est impressionné en découvrant la puissance de son hôte, il est surtout subjugué par sa femme.
Derrière l’intrigue sentimentale nouée autour de cette relation adultère, les enjeux de pouvoir se dessinent d’emblée. Les conflits entre le jeune premier et l’homme accompli traduisent parfaitement le contraste entre l’Occident chrétien et l’Orient glorieux. La société commerciale, alors en plein essor, n’est‑elle en effet pas en train de supplanter l’ancienne civilisation ?
Passion dévorante, lutte de pouvoir, épopée initiatique… la pièce, librement inspirée de l’histoire, est bien construite. Comme une tragédie, car la concurrence, qu’elle soit politique ou amoureuse, doit aboutir à la catastrophe, attendue dès le début du spectacle. En effet, le désir prend vite possession de ces trois personnages dans un jeu pervers et de manipulation. Et, pour s’en sortir, le prix se paiera avec le sang. Toutefois, si Éric Bouvron réussit à mettre en valeur la tension dramatique à la toute fin, le chemin pour y parvenir semble parfois laborieux, et la pièce comporte des longueurs.
Une tragédie politique et sentimentale poussive
D’abord, la trame sentimentale alourdit considérablement l’avancée de la pièce. On a l’impression d’assister au Mithridate de Racine : un tyran oriental inquiétant, une jeune femme sacrifiée, un homme épris qui espère sauver cette dernière. Mais la pièce échoue à donner au triangle amoureux une réelle dimension tragique. Seul l’ultime geste pathétique de l’hirondelle du Khan, que nous ne dévoilerons pas, permet une élévation de l’intrigue sentimentale.
Ensuite, l’affrontement politique des deux hommes que tout oppose, à commencer par l’âge, donne lieu à des remarques pertinentes. Par exemple, l’incompréhension du Khan face au pouvoir du pape dans le monde chrétien montre bien la scission entre Orient et Occident : d’une part, un empire de conquêtes hérité de l’Antiquité et de l’autre, un empire idéologique fondé sur la religion. Pourtant, là encore, on peine à atteindre une réflexion aboutie sur ces deux visions du monde.
La performance de Laurent Maurel, dans son incarnation de l’inquiétant Khan, est sans doute la plus convaincante. On regrette surtout que les personnages soient un peu ternes, malgré leurs costumes colorés. Marco Polo manque de relief et l’hirondelle du Khan ne dépasse pas l’image convenue de la femme captivante par sa beauté, malheureuse dans ce mariage forcé. Quant à Khan, il est construit sans complexité. On est même dans le cliché, par moments.
Avec ses costumes somptueux, la mise en scène a recherché le dépaysement. Pas de décors, comme écrin à cette fresque, mais la présence sur scène de deux musiciennes-chanteuses mongoles, ainsi que d’une chanteuse lyrique, qui nous entraînent par‑delà les steppes. Même s’il ne commente pas l’action et n’interagit pas avec les protagonistes, comme dans la tragédie antique, le trio forme un chœur qui accompagne les personnages tout au long de la performance. La musique et le chant sont là pour augmenter la tension, susciter l’émotion, faire voyager. Ils contribuent à créer une atmosphère tout à la fois mystérieuse et mystique. Et, en cela, le pari est plutôt réussi, d’autant que les interprètes sont bluffantes. Reste que c’est insuffisant pour nous emporter totalement. Corps et âme. ¶
Morgane Patin et Léna Martinelli
Lire aussi « les Cavaliers », d’après Joseph Kessel, théâtre La Bruyère à Paris.
Marco Polo et l’Hirondelle du Khan, d’Éric Bouvron
Mise en scène : Éric Bouvron
Assistante à la mise en scène : Victoire Berger‑Perrin
Avec : Jade Phan‑Gia, Kamel Isker, Laurent Maurel
Musiciennes : Ganchimeg Sandag et Bouzhigmaa Santaro
Chanteuse mezzo‑soprano : Cecilia Meltzer
Musique et création sonore : Didier Simione
Costumes : Sarah Colas
Collaboration artistique : Damien Ricour‑Ghinea
Lumière : Edwin Garnier
Photos : © Sabine Trensz
Théâtre Actuel • 80, rue Guillaume‑Puy • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 82 04 02
Site du théâtre : http://www.atelier-theatre-actuel.com
Du 6 au 30 juillet 2016, à 10 h 15
22 € | 15 €