34e festival du cirque actuel : focus 2
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Au-delà de la technique et des performances physiques, des circassiens se racontent, dévoilent leurs parcours de vie et leurs combats pour surmonter les épreuves.
M.E.M.M évoque la reconstruction d’une acrobate voltigeuse victime des attentats parisiens de novembre 2015. Alice Barraud, qui a construit sa vie sur ses mains, se retrouve avec une balle dans le bras. Avec Raphaël de Pressigny, elle ne raconte pas l’horreur, mais son chemin pour s’en sortir, trouver sa place, elle qui a trop entendue : « Vous étiez au Mauvais Endroit au Mauvais Moment ».
Une autre expérience, tout aussi radicale : celle de Martin Palisse, qui aborde, de façon explicite, son rapport physique à la maladie, son incidence dans ses choix de vie, sa pratique du jonglage, son rapport aux autres et au temps. Repoussant les limites de ses capacités physiques, il nous dit, dans Time to tell, comment cet hasardeux héritage l’a façonné, lui et son art. Un autoportrait qui interroge l’essence de l’acte artistique, son urgence (lire notre critique ici).
Art vivant par excellence, le cirque pose la question de la mort de manière particulièrement aigüe, sans doute car le risque y prédomine. Pandax (Cirque la compagnie) plonge à corps perdu dans la thématique. On va suivre, en Fiat Panda, les pérégrinations de cinq frères qui se rencontrent pour la première fois. Le père est lui aussi présent, sauf qu’il voyage dans une urne. Voilà ce qui les rassemble : le décès du patriarche. L’occasion de faire connaissance et de détourner une voiture désossée en agrès !
Entre conflits et rapprochements, les situations sont propices à des numéros très originaux. Voltige « motorisée », acrobatie au sol, mais aussi bascule, mât chinois, échelle libre servent le propos de cette pièce habillée par des musiques live électro-acoustiques d’inspiration balkanique, klezmer ou jazz et des chants magnifiques. Saluons la présence d’un orchestre composé uniquement de musiciennes.
Ces anciens de l’École Nationale de Cirque à Montréal nous emportent grâce à leurs personnages bien campés, des séquences poétiques et une générosité sans borne. Ils transforment la piste en terrain de jeu. On y imagine même les pâturages et les falaises, où disperser les cendres. Quant au travail sur les éclairages, il est parfaitement intégré à la dramaturgie. Un excellent spectacle, enlevé, drôle et percutant !
Heureusement, la vie n’est pas faite que de drames. Rapprochons-nous (La Mondiale générale), qui propose un « cirque de situations », nous expose une tranche de vie. Pas si simple que ça ! Au sommet d’un bastaing, un duo de circassiens (Alexandre Denis et Frédéric Arsenault) est à l’œuvre, dans un savant travail de contrepoids, tandis qu’un perchman capte la vie tout autour, et surtout leur intimité. Leur tentative d’ancrage traduit un projet de mariage.
Tout est son : les respirations, les chuchotements, les mains sur les corps. Ça palpite et ça grince. Ils ne risquent pas de prendre leur pied ! Dessus, dessous, ils ont peu de place. Même si l’on souffre un peu avec eux, car l’effort est considérable, le plaisir d’être là est partagé car le couple ne manque pas d’humour, ni de flegme. Ils testent leurs limites à travers une mise à l’épreuve, tout en posant les bases d’un nouvel « être ensemble ». Tout contre.
L’amitié et l’amour… C’est pour toi que je fais ça traite justement de la complexité des relations humaines. Guy Alloucherie reprend cette création 1997 en l’adaptant pour les étudiants de la 34e promotion du Centre national des arts du cirque (CNAC). Une pièce de répertoire d’un grand monsieur qui a marqué toute une génération en mêlant virtuosité des acrobates et théâtre direct.
Et pour finir sur un sujet également inépuisable, 080, de Jonathan Guichard restitue le cycle de l’existence, à travers l’histoire d’un être imaginaire hors norme. Gestes éloquents, réactions sans filtres, chaque nouvelle expérience est un bouleversement raconté par le corps. Dans ce sol aux propriétés étonnantes, le personnage émerge et disparaît, évolue et rebondit aussi. Jonathan Guichard a voulu représenter « une vie de rebondissements, au propre comme au figuré », sauf que l’on reste un peu sur notre faim concernant « l’infini des possibles », dont il parle dans sa note d’intention.
Outre le vocabulaire physique et un jeu d’acteur limités, on est déçu par le manque de densité. « Le temps s’y écoule avec inconstance, il s’étire et se contracte. En traversant son existence comme une succession de premières fois, Meurlze se découvre, se rencontre, se perd, s’épanouit, se blesse, s’amuse, s’émeut et finit par se quitter sans joie ni peine, parce que c’est ainsi ». Une exploration du rapport à la gravité bien léger ! La scénographie originale, les lumières soignées et les matières rythmiques qui composent la bande son contribuent à créer un univers singulier qu’on n’est malgré tout pas prêt d’oublier, notamment pour la séquence d’ouverture, saisissante. ¶
Léna Martinelli
M.E.M.M au Mauvais Endroit au Mauvais Moment, d’Alice Barraud et Raphaël de Pressigny
De et avec : Alice Barraud et Raphaël de Pressigny
Écrit et mis en scène par Sky de Sela, Alice Barraud et Raphaël de Pressigny
Création lumière : Jérémie Cusenier
Régie lumière : Jérémie Cusenier, Thomas Kirkyacharian
Régie Son : Wilfried Simean, Hugo Barré
Régie accroches : Fred Sintomer
Costumes : Anouk Cazin
Constructeur Ingénieur : Robert Kieffer
Photographie, image, vidéo : Aristide Barraud
Dès 10 ans
Théâtre, du 28 au 30 octobre
Pandax, Cirque la compagnie
Mise en scène : Nicole Lagarde et Cirque la compagnie
Avec : Zackary Arnaud, Baptise Clerc, Boris Fodella, Charlie Mach, Nicolas Provot
Musique : Seraina De Block, Astrid Creve, Ondine Cantineau
Dramaturgie : Nicole Lagarde
Régie générale : Nancy Drolet
Régie lumière : Clément Fodella
Costumes : Clarisse Baudinière
Construction scéno : Antoine Mach, Julie Duverneuil
Coachs acrobatiques : André Saint-Jean
Conception sonore : Marjolaine Carme
Dès 5 ans
Chapiteau Endoumingue, du 21 au 25 octobre
Tournée ici
Time to tell, Martin Palisse et David Gauchard
Conception, mise en scène et scénographie : David Gauchard et Martin Palisse
Interprétation : Martin Palisse
Création sonore : Chloé Levoy
Création lumière : Gauthier Devoucoux
Régie : Christian Theret
Dès 10 ans
Chapiteau Caserne Espagne, du 25 au 27 octobre
Tournée ici
C’est pour toi que je fais ça, de Guy Alloucherie
Metteur en scène : Guy Alloucherie
Avec : Noa Aubry (roue allemande), Alice Binando (corde lisse), Tomas Denis (acro-danse), Jef Everaert (roue Cyr), Yannis Gilbert (acro-danse), Julien Ladenburger (jonglage), Marisol Lucht (roue Cyr), Elena Mengoni (trapèze ballant), Niels Mertens (bascule), Carolina Moreira Dos Santos (tissus), Matiss Nourly (corde tendue), Pauline Olivier de Sardan (mât chinois), Thales Peetermans (bascule) et Tiemen Praats (bascule)
Assistante et dramaturge : Martine Cendre
Création musicale (1997) : Riké
Chorégraphe : Marie Letellier
Scénographe (1997) : José Froment
Création lumières (1997) : Stéphane Auber assisté de Charlotte Beaufort
Enseignante référente CNAC : Marie Seclet
Régie générale : Jean-Louis Vandervliet
Régie Agrès : Guillaume Bes
1 h 20
Tout public
Dôme, du 26 au 27 octobre
Rapprochons-nous, d’Alexandre Denis et Frédéric Arsenault
Acrobate sur bastaings : Alexandre Denis et Frédéric Arsenault
Création sonore : Julien Vadet
Regards extérieurs : Édith Amsellem et Claudine Charreyre
Construction : Timothé Van Der Steen
Lumières : Christophe Bruyas
30 minutes
Tout public
Centre Cuzin, du 24 au 25 octobre
Tournée ici
080, de Jonathan Guichard
Mise en scène, composition, scénographie : Jonathan Guichard
Avec : L. Bolze et / ou G. Feurté et / ou M. Peckstadt et / ou F. Wixe
Collaboration artistique : Marie Fonte
Création lumière et construction : Cyril Malivert
Mise en espace sonore : Nicolas Carrière
Costumes : Julia Masson et Audrey Pech
Régie générale et lumière : Gautier Gravelle
1 heure
Dès 8 ans
Salle Bernard Turin, du 23 au 25 octobre
Dans le cadre du 34e festival du cirque actuel, du 21 au 30 octobre 2021
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ 34e festival du cirque actuel, focus 1 : « A simple Space » et « Der Lauf », par Léna Martinelli