« Mes ancêtres les Gaulois », « Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois », Théâtre 11, festival Off d’Avignon

Et-c’est-un-sentiment-qu’il-faut-déjà-que-nous-combattions-je-crois-David-Farjon

Voix intimes au chapitre de la Nation 

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Déconstruisant les romans nationaux et médiatiques, « Mes ancêtres les Gaulois » et « Et c’est un sentiment qu’il  faut déjà que nous combattions je crois » nous invitent à entendre les récits de ceux qui n’ont pas voix au chapitre de l’histoire officielle. Un théâtre politique pour sortir des clichés.

« Tu n’en as pas marre de parler de nous à des inconnus ? » s’exclame la grand-mère de Nicolas Bonneau. C’est que dans son nouvel opus, Mes ancêtres les Gaulois, coécrit avec Nicolas Marjaut, le conteur nous réinvite dans la gâtine. Nous y suivons la famille Bonneau, cette fois sur plusieurs générations : depuis l’arrière-grand-père bercé par les fariboles nationalistes d’une République en quête d’union, jusqu’au tout jeune Ulysse qui esquisse l’espoir d’une France ouverte aux quatre vents de la rencontre.

Parler des siens c’est en fait une manière de proposer un contre-récit face aux antiennes nationalistes qui ont envahi la sphère médiatique et politique : histoire intime contre histoire officielle. Si le roman national est fait de gloriole et de discours hagiographiques, les histoires que nous conte Nicolas Bonneau sont, au contraire, humbles. Car, comme tant d’autres, les Bonneau furent chair à canon dans des guerres absurdes, comme tant d’autres, ils ont idolâtré Jeanne la pucelle ou été tentés de voter pour l’extrême droite. Sur scène, on ne leur jette pas de cailloux. On essaie de comprendre.

Et, logiquement la mise en scène et le dispositif scénographique ont la même modestie. Quelques objets, un écran, un étrange objet connecté et baptisé avec humour « Alesia » suffisent ainsi à occuper la scène. La représentation est donc portative. Elle a lieu ce jour-là dans une salle de classe, pareille à celle où, de Picardie au Sénégal, des générations ont précisément ânonné : « Nos ancêtres les Gaulois ».

On a tous dans nos familles des gens qu’on aime, mais dont on craint le vote en 2022. Le spectacle est fait pour eux, surtout. Car si Nicolas Bonneau et Nicolas Marjaud ont construit leur spectacle autour d’une documentation importante, celui qui cherche à échapper au mirage de l’identité nationale n’apprendra pas forcément grand-chose. Il retrouvera par contre avec plaisir l’art du conteur, la générosité et l’humour de son interprète.

Radioscopie de la fabrique de « la banlieue »

C’est au mythe de la banlieue que s’attaquent, pour leur part, les auteurs et interprètes de Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois. Dans leur compagnie justement nommée Légendes urbaines, beaucoup ont grandi à la périphérie des grandes villes. Leurs parents s’y sont aimés, ils s’y sont sentis chez eux, et ils ne se reconnaissent pas dans l’image délétère que les médias en donnent.

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« Et c’est un sentiment qu’il faut déjà que nous combattions je crois » de David Farjon © Jérémie Gaston Raoul

L’analyse d’un reportage de Caroline Sinz sur la place des femmes dans certaines banlieues leur offre un exemple concret d’un traitement biaisé. Sur scène, en direct, ils nous font part des réflexions que ces images engendrent et reconstituent leur fabrique. Cela donne un spectacle choral, dynamique, où le ballet des caméras rend compte de la pression qui s’exerce sur les petits soldats du journalisme, aussi bien que de l’artifice d’une information étiquetée comme objective. La scénographie est inventive, sans cesse modulée, les comédiens généreux.

Certes, on grossit parfois le trait, on crée à son tour de la fiction, mais en conscience et en l’explicitant. Et cette peinture parfois comique du milieu médiatique permet de mettre en relief des scènes intimes et délicates de la vie vécue dans les banlieues. Ce sont les plus jolis moments du spectacle où les interprétations de David Farjon, Ydire Saïdi ou Magali Chovet nous touchent.

On parle en ce moment de droits culturels : ce que postule le spectacle, c’est que les médias ne peuvent parler à la place des gens. Les objets de l’information doivent en devenir les sujets. Un vraie chantier médiatique mais aussi culturel et citoyen. 

Laura Plas


Mes ancêtres les Gaulois, de Nicolas Bonneau et Nicolas Marjault

Cie la Volige

Écriture et mise en scène : Nicolas Bonneau et Nicolas Marjault

Avec : Nicolas Bonneau

Durée : 1 h 25 (trajet compris depuis le Théâtre 11 jusqu’au lycée Mistral)

À partir de 14 ans

Du 10 au 15 juillet à 11 h 15

Et c’est un sentiment qu’il  faut déjà que nous combattions je crois, de David Farjon

Cie Légendes urbaines

Direction de l’écriture collective et mise en scène : David Farjon

Avec : Samuel Cahu, Magali Chovet, David Farjon, Sylvain Fontimpe, Ydire Saïdi, Paule Schwoerer

Durée : 1 h 35

À partir de 13 ans

Teaser

Du 7 au 29 juillet à 18 h 40 (relâches les 12, 19 et 26 juillet)

Théâtre 11 • 11, rue Raspail • 84000 Avignon

Dans le cadre du festival Off d’Avignon

De 8 € à 20 €

Réservations : 04 84 51 20 10


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Qui va garder les enfants, de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux, théâtre de Belleville, à Paris, par Laura Plas

☛ Village toxique, de Nicolas Bonneau a paru chez Lansman Éditeur

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