« Mille francs de récompense », de Victor Hugo, villages en Anjou et Pays de la Loire

rideau-rouge

Hugo dans le pré, bonheur assuré

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Il court, il court, le théâtre populaire.

À l’heure où le milieu professionnel a les yeux rivés sur Avignon, Camille de la Guillonnière fait l’école buissonnière. La troupe qu’il a fondée il y a onze ans avec Jessica Vedel prend chaque année la clé des champs au début de l’été pour une « tournée des villages » en Anjou et Pays de la Loire. Emmenée par ces deux incorrigibles optimistes, une dizaine de comédiens déploie une agilité époustouflante pour compenser les faibles moyens financiers du tréteau et du bout de ficelle. La pièce est plutôt un classique, et le public, plutôt non averti, puisqu’il est venu ici par hasard (à ceci près qu’en une décennie, les spectateurs fidèles se sont multipliés). On est sur la place du village, dans le petit bois communal, dans le jardin public du château, sur le pré de la ferme mis à disposition par telle mairie ou telle institution locale. Il n’y a ni ticket, ni siège attribué, ni mur, ni porte. Le parti pris du plein air et de ses aléas est revendiqué par le nom même de la compagnie, qui proclame avec humour que « le temps est incertain mais on joue quand même ! ».

Et pourtant, la qualité du texte servi situe le spectacle bien au‑dessus du niveau ordinaire des prestations saltimbanques. Cette année, c’est Victor Hugo en personne qui s’invite au village. Le sujet de cette pièce méconnue du plus populaire des auteurs français est simple : Cyprienne aime le modeste Edgar, mais doit plaire au riche Rousseline qui accepte de payer les dettes familiales de la jeune fille. Heureusement, le cambrioleur Glapieu, ancien pensionnaire des meilleurs instituts d’État de Fresnes, Fleury et Toulon, offre son expertise ès arts de passer les murailles et ouvrir les coffres‑forts pour la justice sociale. Du début à la fin, on jubile à écouter la prose hugolienne, noble et subtile même quand elle se met au niveau du théâtre de boulevard.

En regardant les spectateurs, on découvre Hugo non seulement sublime mais rigolo aussi. Comment capter l’attention des gamins qui jouent sur la place et celle des campeurs venus boire une bière en terrasse ? En donnant à entendre ce que le grand Victor a d’universel et d’éternel bien sûr, mais en se creusant également les méninges pour trouver toutes les astuces susceptibles de réconcilier avec une culture qui fait peur un public plus ou moins fâché avec l’école. Pari réussi pour Camille de la Guillonnière : les gens s’en vont tout étonnés d’avoir pris plaisir avec quelque chose qui leur paraissait hermétique. Deux heures de Hugo, ça passe tout seul finalement, comme un demi.

« Voler, quel bête de mot ! Il a deux sens. L’un signifie liberté, l’autre signifie prison. »

Ces mots de Glapieu, au début de la scène d’exposition, pourraient servir d’exergue à Mille francs de récompense que le programme qualifie de « texte politiquement poétique entre le vaudeville et les Misérables ». Dans le vaudeville, c’est le mariage qui est synonyme tantôt de liberté, tantôt de prison. Dans les Misérables, c’est l’argent. L’intrigue condense tous ces thèmes, et Glapieu est le cousin espiègle de Jean Valjean. Le choix de cette pièce parmi tant d’autres est judicieux puisqu’elle a la légèreté de Feydeau sans le côté écervelé, et la profondeur du romantisme social sans les longueurs. L’heureux équilibre entre respect du texte et impertinence de la direction d’acteurs provient de la grande familiarité du metteur en scène avec son auteur fétiche.

Dans une vie antérieure, Camille de la Guillonnière a en effet couché avec Victor Hugo. Avec la complicité du brillant Jean Bellorini, il s’est montré suffisamment fou pour oser s’attaquer aux Misérables dont il a adapté le texte à la scène et offert une interprétation inoubliable 1. On retrouve d’ailleurs avec plaisir cet été, sur les parvis et les herbages du Val de Loire, certains points forts du style Bellorini repris par son comparse de longue date.

Reste à saluer le talent et la vitalité de jeunes interprètes dont la diction puissante (il en faut de la puissance pour couvrir les cris de mouette, les bruits de vaisselle et les Klaxons des alentours) n’a d’égale que la générosité dans le mouvement. Mention coup de cœur à la charmante et autoritaire Chloé Chazé et à l’ignominieux Frédéric Lapinsonnière. Coup de chapeau au petit nouveau Florent Bresson, notamment pour sa prestation finale, juché en aplomb sur un échafaudage fabriqué de bric et de broc avec une scie sauteuse et une visseuse électrique. C’est toute la troupe en fait qui défie les lois de l’équilibre en même temps que celles de l’acoustique. Elle détricote aussi les codes sociaux et les préjugés qu’on pourrait avoir sur l’écart entre le théâtre savant et la jonglerie des rues. La culture est dans le pré, courons‑y vite ! 

Élisabeth Hennebert

  1. Tempête sous un crâne, adaptation par Camille de la Guillonnière et Jean Bellorini, mise en scène de Jean Bellorini, création 2010 au Théâtre du Soleil, nombreuses reprises dont celle du printemps 2016 au Théâtre Gérard‑Philipe de Saint‑Denis (93).

Lire aussi Mille francs de récompense, de Victor Hugo, Théâtre du Nord à Lille


Mille francs de récompense, de Victor Hugo

Cie Le temps est incertain mais on joue quand même !

www.le-temps-est-incertain.com

Mise en scène : Camille de la Guillonnière

Avec : Florent Bresson, Chloé Chazé, Frédéric Lapinsonnière, Adrien Noblet, Aude Pons, Lise Quet, Mathieu Ricard

Tournée des villages jusqu’au 5 août 2016 :

  • En juillet : 19 : Sautron, 20 : Nozay, 21 : La Roche‑Bernard, 22 : Saint‑Nazaire, 23 : Piriac, 25 : Noirmoutier, 26 : Les Rosiers, 27 : Saint‑Sylvain‑d’Anjou, 28 : Brissac‑Quincé, 29 : La Cornuaille, 30 : Montreuil‑Bellay, 31 : Pruillé
  • En août : 1er : Soulaire‑et‑Bourg, 3 : Batz‑sur‑mer, 4 : Cheffes‑sur‑Sarthe, 5 : Le Plessis‑Macé

Horaire : 21 heures

Tarif : participation libre (au choix 3 € à 15 €)

Durée : 1 h 45

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