Temps morts
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Eszter Salamon, chorégraphe à la déjà riche renommée artistique et internationale, présente sa récente création « Monument 0 : hanté par la guerre (1913-2013) ». Un projet ambitieux qui manque de souffle.
Inspirée par la collecte de danses tribales guerrières et de musiques traditionnelles, toutes venues du monde entier, la chorégraphie entend substituer à propos des horreurs accompagnant tous les conflits armés une approche non pas folklorique mais socioanthropologique. Le message adressé se veut politique et au service de nos mémoires.
Dans l’écrin noir du plateau où la lumière est utilisée de façon parcimonieuse prennent place six danseurs recouverts d’un linceul. Les victimes de la guerre à l’évidence. Succède un des longs silences qui hacheront le spectacle. Des temps morts, forcément. La suite se développe principalement en deux grandes séquences.
D’abord une série de solos représentant la Faucheuse. Mort gourmande de cadavres, mort hystérique que les disparus font jouir. Et à chaque fois, apparition dans la pénombre, danse esquissée frénétique ou à quatre temps. C’est répétitif et lancinant.
Puis une chorégraphie collective aux gestes saccadés montre quelques aspects de la guerre : arrogance et puissance physique des chefs, maniement de cannes pour les scènes de combat. Chaque moment comme dans la première partie est soutenu par des frappes de pied sur le sol, des heurts de bâtons et par des chœurs vocaux semblables à des exercices d’improvisation d’ateliers.
Au point de provoquer l’ennui
Là encore, malgré la belle énergie de certains danseurs, mouvements et situations se répètent au point de provoquer l’ennui. Des noirs brutaux interrompent les scènes et infligent aux spectateurs des instants de silence prolongé. Dans la partie ultime du spectacle, où les protagonistes se sont débarrassés de leurs maquillages et costumes mortifères, Monument 0 bascule dans l’époque contemporaine. Tee-shirts, chemises ouvertes, shorts transforment les danseurs en sportifs dont la gestuelle fait écho aux combats violents des guerres. Tous finissent infirmes en un portrait de groupe où chacun danse son handicap.
C’est la seule image forte qui résonne comme un avertissement pour nos nations. Sans armes, même si les bâtons sont de nouveau utilisés, c’est la sauvagerie en mode mineur qui resurgit de façon latente dans nos sociétés.
La représentation s’achève au rythme d’une pauvre percussion. Un danseur travesti entre en transe. Il abat les unes après les autres à coups de canne des dizaines de petits panneaux, sur lesquels sont inscrites les dates des conflits armés qui se sont déroulés de 1913 à 2013. C’est fait comme un moment de vaudou exécuté puissamment mais d’un didactisme appuyé.
Déception donc pour cette création dont la réalisation artistique paraît insuffisante au regard de l’ambition affichée du projet. ¶
Michel Dieuaide
Monument 0 : hanté par la guerre (1913-2013), d’Eszter Salamon
Dramaturgie : Eszter Salamon, Ana Vujanović
Avec : Boglárka Börcsök, Ligia Lewis, João Martins, Yvon Nana-Kouala, Luis Rodriguez, Corey Scott-Gilbert
Lumière : Sylvie Garot
Son : Wilfried Haberey
Costumes : Vava Dudu
Photo : © Ursula Kaufmann
Production : Botschaft Gbr, Studio E.S
Coproduction : HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Internationales Sommerfestival Kampnagel (Hamburg), Les Spectacles vivants-Centre Pompidou (Paris), PACT Zollverein / Départs (Essen), Tanzquartier (Vienne), Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon
Accueil-Studio Centre chorégraphique national Ballet de Lorraine
Avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication-D.R.A.C. Île-de-France, Nationales Performance Netz (N.P.N.) Koproduktionsförderung Tanz, Fondation B.N.P.-Paribas, Goethe Institut
Cour du lycée Saint-Joseph à Avignon
Réservations : 04 90 14 14 14
Du 15 au 18 juillet 2015 et du 20 au 22 juillet à 22 heures
Durée estimée : 1 h 15
Tarifs : de 28 € à 10 €
Une réponse
Pour ma part, j’ai adoré Monument O :
Une recherche esthétique dans les chorégraphies successives qui laisse place à l’expression primitive du corps et du souffle. Manque de souffle dites vous ? Les souffles perceptibles des danseurs sur scène font écho aux jeux de percussions corporels et aux sons de l’impact des corps et des accessoires sur le plateau, créant à eux seuls une partition musicale remarquable.
Une recherche esthétique très réussie dans les costumes qui jouent avec la lumière créant un climat scénographique singulier en parfaite adéquation avec la thématique et le jeu des comédiens.
Une prouesse dans les jeux des danseurs, à la fois danseurs et comédiens dont les expressions communiquent aux spectateurs toutes les émotions en lien avec la guerre : peur, haine, fureur, puissance, violence….
Un spectacle unique et singulier, moment d’exception dans le cadre du festival où se cotoient créativité, esthétique, force du message.
Au regard de l’ambition affichée du projet, un spectacle réussi.