Focus Absurdie, « Negative Space », « La Fondation du rien », La Manufacture, « Derrière », 11 Avignon, critiques, Festival Off Avignon 2025

Trois nuances de rires

Laura Plas
Les Trois Coups

Voici trois spectacles qui cultivent le hiatus. « Negative Space » semblant refuser de complaire au public, y réussit, malheureusement. « La Fondation du rien » fait tenir le spectacle sur une idée ingénieuse mais unique. « Derrière » trace une route singulière et charmante au pays du décalage.

Comment, avec de multiples qualités, réussir à passer à coté du public ? Réponse dans Negative Space. L’équipe des Reckless Sleepers est dirigée au millimètre dans un spectacle parfaitement maîtrisé. Les images du spectacle sont impressionnantes, d’où un teaser alléchant. Mais quand on est dans le public, on s’ennuie ferme. Si on était tenté de songer à Christoph Marthaler, on est rapidement détrompé.

Rire et sentiments paraissent interdits, en effet, par une sorte de charte implicite de mise en scène. On a l’impression qu’on a interdit aux interprètes de jouer. Aucune situation n’est développée. La mécanique du rire est systématiquement enrayée. Même la destruction de l’espace, fil conducteur  du spectacle, n’est pas totalement accomplie. À ce stade, il est impossible que ce ne soit pas une gageure assumée. Défi relevé : on reste en dehors.

L’art de perdre son temps

La Fondation du rien tient, elle, à une idée intéressante. Il s’agit de donner au spectateur un remède au burnout. Le public est donc invité à découvrir une entreprise qui propose des activités annulées. Au lieu de s’y consacrer, on aura le loisir, le luxe de… ne rien faire. Placé sous l’égide du Bartleby de Melville et de Pérec, le spectacle de La Vaste Entreprise a de quoi séduire.

« La Fondation du rien », de Nicolas Heredia © Marie Clauzade

Mais qui croirait que l’entreprise est mensongère et qu’il va vraiment assister à un spectacle s’expose à la déconvenue. Passe encore. Le problème est que l’expérience proposée n’est pas assez nourrie de réflexions. Du rien au vide ? Il serait passionnant de méditer à ce que signifie : « ne rien faire ». Par exemple, ne fait-on rien quand on est en vacances, au chômage, quand on s’exclame : « Je n’ai rien foutu de mon week-end ? ». Le problème est-il de faire, ou plutôt de vouloir bien faire, quitte à se crever ? Voire de désirer mieux faire que son voisin ?

En conséquence, l’expérience est ludique, sympathique,  même conviviale, mais reste un peu vaine. On préfère Sénèque qui critiquait l’intranquillité de manière plus substantielle. Ajoutons que certains auront fait le tour des fausses conférences, et que la découverte d’un site ne fera pas forcément spectacle pour tous. La Fondation du rien, en dépit d’un bon interprète et d’un concept sympathique, tourne vite à vide.

« Derrière », cie pjpp © Julien Athonady

Derrière, au contraire, fourmille d’idées, à tel point que dans un premier temps, on aurait tendance à trouver le propos décousu… À tort. Il faut laisser le temps au temps, surtout quand il est comique. Or, le duo formé par Nicolas Chaigneau et Claire Laureau est expert ès vis absurda. Le grand longiligne et la fluette menue exploitent leur contraste dans l’écriture du spectacle. Ils y opposent en effet un danseur maniaque à son assistante dépassée, une clown médiocre mais inquiétante à son coach blasé.

Surtout, le spectacle ne cesse de bifurquer, de déconcerter en déclinant pourtant toujours le même décalage entre le son et sa source. Pour ne pas gâcher la surprise et alors court-circuiter le rire, on ne rentrera pas dans le détail. On dira tout de même que ces deux-là poussent au plus loin l’idée selon laquelle, sur une scène, la parole suffit à faire exister une réalité. On peut ajouter sans divulgâcher que les deux interprètes sont attendrissants et extrêmement précis. Le spectacle tient à leur performance sur un plateau vide, à leur sens du timing, à leur fantaisie. En définitive, leur écriture s’avère, sous ses dehors fantasques, diaboliques… très poétique.

Laura Plas


Negative Space, cie Reckless Sleepers
Site de la compagnie
Mise en scène : Mole Wetherell
Avec : Alex Covel, Leentje Van De Cruys, Leen Dewilde, Kevin Egan, Tim Ingram, Mole Wetherell, Rebecca Young et Rachel Rimmer-Piekarczyk
Durée : 1 h 50 (trajets en navette compris)
Dès 10 ans
La Manufacture • Patinoire • 2483, avenue de L’Amandier • 84140 Avignon
Du 5 au 22 juillet 2025 (sauf les 11 et 18), à 9 h 40
De 8 € à 15 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici

La Fondation du rien, de Nicolas Heredia
Site de la cie La Vaste Entreprise
Conception, écriture et interprétation : Nicolas Heredia
Durée : 1 h 45
Dès 12 ans
La Manufacture • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Du 5 au 22 juillet 2025 (sauf les 10 et 17), à 16 h 25
De 10 € à 20 €
Réservations : 04 90 85 59 55
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici
Tournée :
• Les 30 et 31 juillet, dans le cadre du festival Paris l’été, au lycée Bergson à Paris (75)
• Le 26 novembre, dans le cadre du Festival Ovni, organisé par le Scène nationale Malakoff (92)
• Le 4 décembre, dans le cadre des Scènes Croisées de Lozère, à Langogne (48)

Derrière, de Nicolas Chaigneau et Claire Laureau
Site de la cie pjpp
Conception, écriture et jeu : Nicolas Chaigneau, Claire Laureau
Durée : 1 h 10
Dès 12 ans
11 • Avignon • 2, rue des Écoles • 84000 Avignon
Du 5 au 24 juillet 2025 (sauf les 10 et 17), à 16 h 25
De 10 € à 20 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, 59e édition du 5 au 26 juillet 2025
Plus d’infos ici

À découvrir sur Les Trois Coups :
« À ne pas rater », Nicolas Heredia, La Manufacture, Festival Off Avignon 2022, par Léna Martinelli
« Les Galets Au Tilleul », cie pjpp, Théâtre de L’Atelier, par Léna Martinelli

Photo de une : « Derrière », cie pjpp © Julien Athonady

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