« Orlando ou l’Impatience », d’Olivier Py, la Fabrica à Avignon

« Orlando ou l’Impatience » © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

« Orlando » ou
la tendresse retrouvée

Par Lise Facchin
Les Trois Coups

Malgré un climat plus que tendu, le Festival s’est finalement ouvert sur la nouvelle création d’Olivier Py. Il nous y montre une nouvelle facette de son travail, où la provocation cède le pas à la tendresse.

Au guichet bourdonnait encore l’inquiétude : cela va-t-il jouer ? La pièce sera-t-elle interrompue ? Nous entrâmes néanmoins et, une fois la salle pleine, les artistes en lutte entrèrent sur scène, le carré de feutre rouge à la boutonnière, et s’immobilisèrent de part et d’autre du plateau dressé. Alors que le public s’interrogeait sur le sens de cette entrée, un enregistrement se fit entendre, celui d’un discours superbe, brillant, fort, bouleversant. Victor Hugo prononça ces mots à l’Assemblée nationale qui voulait voter des coupes budgétaires sur les arts et les sciences. Un discours qui convoque l’intelligence, les possibles en politique, la force des talents et cette nation qui « garde la gloire et refuse le pain » aux artistes. Que d’échos actuels… Des trombes d’applaudissements accompagnèrent la sortie des artistes silencieux.

Puis ce fut le début du spectacle. Orlando cherche éperdument son père et erre à travers les théâtres à sa rencontre, toujours manquée. À chaque début d’acte, il arrache à sa mère, la Grande Actrice, le nom de son père. À chaque fin d’acte, ce père est un leurre. Construite en ostinato, cette pièce, probablement la plus belle et la plus profonde que Py ait écrite, est une aventure intime qui ne peut laisser insensible celui que le monde traverse.

Quand le jeu a la force de porter une parole

Un texte d’une telle force ne pouvait être porté que par des comédiens d’exception, et il en est qui mériteraient des brassées de roses à chaque représentation. D’abord et avant tout, Mireille Herbtsmeyer (la Grande Actrice) dont le jeu oscille entre le délire burlesque et la force sublime d’une tragédienne intemporelle. Dans ce rôle magnifique, elle rayonne d’une profondeur sans âge, incarnant l’essence de l’être aux planches, et revêt tous les visages du théâtre. À couronner de pampre, le troublant Philippe Girard qui incarne successivement tous les présumés pères d’Orlando, un tour de force tant ces rôles successifs impliquent de présence et de texte. Son charisme, sa facilité déconcertante à endosser chaque rôle, son aisance à porter une parole d’une complexité terrible, comptent pour beaucoup dans la réussite de ce spectacle. Quant à Jean‑Damien Barbin et Eddie Chignara, ils sont les porteurs d’humour, déployant une énergie folle sur près de trois heures d’un spectacle qui capture son spectateur dans un ouragan d’émotions intimes. Ils sont les souffles indispensables pour permettre au spectateur de ne pas rompre sous le poids de cet ouragan.

Le trio amoureux, noyau de tendresse merveilleuse, est à nos yeux la clé de voûte de cette pièce. Matthieu Dessertine (Orlando) se pare parfois d’artifices dont il n’a manifestement pas besoin, au vu du talent qu’il peut déployer à tant d’endroits. Quel besoin, par exemple, de tant forcer la voix lorsque Orlando vieillit ? François Michonneau (Gaspard et le Fils) et Laura Calamy (Ambre) sont charmants de fraîcheur. Trois jeunes acteurs plus que prometteurs.

Le surprenant sursaut de la sobriété

Très imposante, la scénographie de Pierre‑André Weitz, composée d’une structure cubique en arrêtes montée sur roulettes, figurant ce « plateau dans le plateau », rendant matérielle, avec une fluidité miraculeuse, la métathéâtralité chère à Py. Les structures complémentaires, amovibles faites de panneaux de bois peintes de paysages urbains terribles et noirs, évoluent tout au long de la pièce ne cessant de créer de nouveaux espaces de jeu. La mise en scène se sert des possibles offerts avec une justesse pleine de surprises. Quels beaux moments, par exemple, que ceux où l’on fait tourner le carré scénique comme un carrousel, imprimant un mouvement aussi joyeux qu’une fête improvisée ! Py est ici étonnamment peu provocant, et s’il malmène parfois son spectateur, on n’y perçoit pas cette violence revendicatrice à laquelle il nous a habitués. À la mesure des mots tendres et lumineux, témoins d’un pas franchi dans l’œuvre de l’auteur, la mise en scène est maîtresse d’elle-même, sise dans un réseau symbolique bien plus clair et léger que par le passé, sans perdre le moins du monde en profondeur.

Quelque chose néanmoins doit être dit : c’est une terrible erreur que d’avoir éventré ce spectacle en deux par un entracte. Quel enfer que d’être arraché à ce monde fait d’échos intérieurs – ce grand vide où résonne le divin que l’auteur chante à travers cinq longs actes – pour être jeté au milieu d’une horde de ses semblables bavards, grignotant sandwiches et tétant canettes. C’est l’expérience violente d’un autisme forcé, une plongée aveuglante dans un réel devenu incompréhensible, et garder le souffle que l’on porte est presque impossible.

Avec Orlando, le théâtre de Py est enfin le témoin de ce que l’auteur n’a eu de cesse de scander au long de son œuvre, mais que nous n’avions pas encore vu sur scène : cette lumière qui baigne les visages d’un éclat si différent tout en les faisant paraître semblables, cette joie si désirée, si acclamée et chantée, dont la tendresse semble être le véhicule. 

Lise Facchin


Orlando ou l’Impatience, d’Olivier Py

Actes Sud-Papiers, Arles, 2014

Mise en scène : Olivier Py

Avec : Jean-Damien Barbin, Laure Calamy, Eddie Chignara, Matthieu Dessertine, Philippe Girard, Mireille Herbstmeyer, Stéphane Leach, François Michonneau

Scénographie : Pierre-André Weitz

Lumières : Bertrand Killy

Musique : Stéphane Leach

Costumes : Pierre-André Weitz

Maquillage : Pierre-André Weitz

La Fabrica • 11, rue Paul-Achard • 84000 Avignon

Réservations : 04 90 14 14 14

Site : http://www.festival-avignon.com/fr/

Du 5 au 16 juillet 2014 à 18 heures, relâche le 8 et le 13 juillet 2014

Durée : 3 heures, entracte compris

Autour du spectacle :

http://www.pearltrees.com/festivaldavignon/orlando-impatience-olivier-py/id10764373

Le spectacle sera diffusé en direct sur ARTE Concert le 12 juillet 2014

Tournée :

  • Les 5 et 6 mars 2015 : Forum de Blanc-Mesnil
  • Les 17 et 18 mars 2015 : espace des Arts de Chalon-sur-Saône
  • Du 24 mars au 2 avril 2015 : T.N.P de Villeurbanne
  • Du 8 au 18 avril 2015 : Théâtre de la Ville, Paris
  • Du 23 au 26 avril 2015 : Comédie de Genève
  • Les 5 et 6 mai 2015 : C.D.D.B. de Bretagne

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