« Où les cœurs s’éprennent », de Thomas Quillardet, Théâtre de la Bastille à Paris

« Où les cœurs s’éprennent » © Pierre Grosbois

Si Rohmer m’était joué…

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

Thomas Quillardet fusionne « les Nuits de la pleine lune » et « le Rayon vert » de Rohmer dans une même pièce de théâtre. En suivant les parcours sentimentaux de Louise et Delphine, le metteur en scène nous offre deux portraits de femmes touchants et drôles en évitant l’écueil de la mièvrerie.

« Je crois qu’il n’y a pas de spécificité cinématographique en ce qui concerne le scénario. […] Le cinéma est une forme qui peut habiller […] la forme théâtrale. » Dans une interview donnée en 1977, Rohmer parlait déjà de l’adaptabilité du scénario de cinéma qui peut difficilement vivre en tant que contenu seul, mais est à même de prendre différentes formes d’expression : cinématographiques, romanesques ou théâtrales. En adaptant deux œuvres de Rohmer, Thomas Quillardet valorise le potentiel théâtral des dialogues littéraires et badins qui caractérisent les films du réalisateur et qui ne sont pas sans rappeler un certain Marivaux.

Le premier volet de la pièce est d’une grande fidélité à l’écriture des Nuits de la pleine lune. Louise vit en couple avec Rémi à Marne-la‑Vallée. Contrairement à Rémi, la jeune femme aime sortir et éprouve le « besoin absolu de passer une nuit blanche de temps en temps ». Pour ménager le rythme de vie de chacun et renouer avec une solitude désirée, Louise décide de regagner son pied-à‑terre à Paris où elle dormira les vendredis. La stratégie de Louise pour allier liberté et vie de couple harmonieuse va alors prendre un tour inattendu.

Pour l’adaptation du Rayon vert, Thomas Quillardet et Marie Rémond ont inséré quelques nouvelles scènes, mais le scénario original de Rohmer est conservé : Delphine reçoit le coup de fil d’une amie lui annonçant qu’elle ne pourra finalement pas partir en vacances avec elle. Delphine cherche alors des alternatives pour tromper la solitude. S’ensuit une série de séjours écourtés et de rencontres avortées. En creux, on découvre le portrait d’une grande romantique qui, si elle peine à trouver sa place, a le mérite de rester fidèle à ses idéaux en fuyant la médiocrité des relations superficielles.

Les sept comédiens incarnent une galerie actualisée de personnages rohmériens : Octave, le confident intéressé, Rémi le copain effacé, les supposées amies assénant des conseils teintés de reproches, etc. La deuxième partie de la pièce, en particulier, offre un échantillonnage de prototypes réjouissants. Le parti pris de la confusion des sexes et des âges des rôles renforce le sentiment d’égarement de Delphine en même temps qu’il nous amuse. Fabienne, une amie qui l’emmène à La Rochelle, est interprétée par le flegmatique Jean‑Baptiste Tur ; Vanessa, dix ans, est jouée par Florent Cheippe – tout aussi convaincant dans le rôle du petit ami veule de Louise ; sans parler de l’hilarante touriste suédoise proposée par Guillaume Laloux. Autant de types indémodables qui sont des contrepoints comiques aux personnages centraux de Louise et Delphine. Quoique ces dernières prêtent également à rire par leur franchise impolie. Anne‑Laure Tondu compose une Louise tout en séduction et détermination tandis que Marie Rémond est parfaite en Delphine éthérée.

La scénographie à la fois fonctionnelle et poétique plante un décor atemporel. Les feuilles de papier qui recouvrent le sol font office, une fois découpées, de draps ou de de journaux, tandis que tachées de peinture bleue, elles symbolisent l’océan. Les ellipses et changements de lieux sont habilement traités. Les migrations pendulaires effectuées par Louise entre Paris et la banlieue ou les allers-retours frénétiques de Delphine en TGV sont signifiés par des trains électriques qui entourent le plateau.

Où que l’on soit, dans un appartement parisien ou au bord de l’océan, ce sont toujours les sentiments qui sont inlassablement décortiqués par le metteur en scène et ses comédiens. Ce sont ces cœurs qui s’éprennent et qui sont le moteur dramaturgique de cette adaptation. Un moteur qui nous tient en haleine tout au long de la représentation. 

Bénédicte Fantin


Où les cœurs s’éprennent, de Thomas Quillardet, d’après les scénarios de les Nuits de la pleine lune et le Rayon vert d’Éric Rohmer

Mise en scène : Thomas Quillardet

Adaptation : Marie Rémond et Thomas Quillardet

Avec : Benoît Carré, Florent Cheippe, Guillaume Laloux, Malvina Plégat, Marie Rémond, Anne‑Laure Tondu, Jean‑Baptiste Tur

Lumières : Nadja Naira

Scénographie : James Brandily, assisté de Long Ha et de Fanny Benguigui

Costumes : Frédéric Gigout

Photos : © Pierre Grosbois

Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris

Réservations : 01 43 57 42 14

Site du théâtre : www.theatre-bastille.com

Métro : Bastille

Du 6 au 19 janvier 2017, à 20 heures, relâche le 15 janvier

Durée : 2 heures

24 € | 17 € | 14 €

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