Léonard, inventeur‐patineur
Par Céline Doukhan
Les Trois Coups
Patrick Léonard est maître dans l’art délicat du glissant, de l’instable et du branlant.
Patrick Léonard est originaire du Québec, où il a cofondé la compagnie Les 7 Doigts de la main, qui crée, on les cite, un « cirque d’auteur ». De fait, Patrick Léonard choisit d’incarner un personnage burlesque et fragile, un équilibriste et jongleur virtuose, tout autant qu’un clown qui fait rire de sa propre maladresse. Ce personnage est tout affairé à assembler on ne sait quel improbable équipement sonore, avec enceintes et platine à l’ancienne. Pour quoi faire ? Le sens de tous les exploits, parfois minuscules, de cet hurluberlu, semble n’être que de s’attacher les faveurs, voire l’amour, du public. Et comment résister, en effet, au tendre sourire et au regard d’enfant que le bonhomme envoie régulièrement à la salle, tel le joueur de tennis débutant à son coach dans les tribunes ?
Tout le début du spectacle est quasiment muet, et c’est là la partie qui déclenche le plus de rires. Enfin… muet, pas tout à fait, puisque la bande-son est très présente et permet justement de ménager de nombreux effets.
Situations potentiellement casse-gueule
Bien sûr, l’attrait que Léonard crée dans le public tient à cette différence manifeste entre ses authentiques talents et la piètre figure qu’il incarne. Ce qui est drôle en effet, c’est la relation fort difficile que le personnage entretient vis-à-vis des objets qui l’entourent. Il est parfois littéralement emporté par eux (une table et des chaises, au début). Mais il doit surtout, en permanence, gérer toutes sortes de situations potentiellement casse-gueule, dans tous les sens du terme. Aussi se voit-il toujours dans l’urgence de démêler des fils, de fixer les objets (au moyen d’un pauvre bout de Scotch), de les superposer, ou encore d’éviter ceux qui lui tombent dessus, comme cette canne qui déboule des cintres, manquant de peu lui transpercer le crâne ! L’énigmatique Patinoire prend alors peu à peu son sens. C’est que pour ce gars-là, tout est glissant, tout doit être appréhendé comme la piste noire l’est par le champion de ski. Sauf que, ici, le champion serait du niveau premier flocon.
Et puisque nous sommes à la patinoire, donnons donc des notes comme dans les compétitions commentées par Nelson Montfort. Note technique : 8/10. Certains numéros sont vraiment épatants. Par exemple, Léonard se retrouve perché sur une chaise dont les pieds reposent… sur le goulot de quatre bouteilles ! Désirant actionner son vieux phonographe, il se trouve obligé de se contorsionner en un mouvement difficilement descriptible. Disons que, en gros, assis sur sa chaise, face au dossier, il passe la tête puis le torse dans l’intervalle entre le dossier et l’assise. Vous visualisez ? On est cependant moins convaincu par un numéro avec une pièce de monnaie, trop long et sur lequel plane insidieusement un doute : fait-il exprès, oui ou non, de ne pas réceptionner comme prévu sur son front la pièce lancée en l’air ? Toujours est-il que le spectacle connaît une baisse de rythme à ce moment.
Note artistique : 7/10. Si Léonard est brillant quand il se tait, ses interventions parlées, ou plutôt hurlées, emportent moins l’adhésion, car pas toujours fines. Mais, outre les acrobaties, Patrick Léonard fait preuve d’un grand talent de comédien. Seul, il tient la grande salle du Chêne-Noir sans difficulté, aidé en cela par Bruno Rafie aux lumières et Félix Boisvert et Nicolas Cantin pour (dixit le dossier de presse) l’« environnement sonore et silencieux ». Ils créent pour la performance de Patrick Léonard un univers inattendu, comme lorsqu’une symphonie classique retentit, entre premier et second degré, tandis que Léonard tente de parvenir au sommet d’un nouvel empilement himalayen. ¶
Céline Doukhan
Patinoire, de Patrick Léonard
Les 7 Doigts de la main • 225, rue Roy-Est, # 205 • Montréal (QC) H2W 1M5 • Canada
Mise en scène : Patrick Léonard et Nicolas Cantin
Avec : Patrick Léonard
Collaboration aux chorégraphies : Howard Richard
Environnement sonore et silencieux : Félix Boisvert
Choix musical : Patrick Léonard, Félix Boisvert et Nicolas Cantin
Lumières : Bruno Rafie
Photo : © Roland Lorente
Théâtre du Chêne-Noir • 8 bis, rue Sainte-Catherine • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 86 74 87
Du 5 au 27 juillet 2014 à 10 h 30
Durée : 1 h 15
22 € | 16 € | 11 €