Métamorphoses
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Parmi les coups de cœur de 2e Biennale internationale des arts du cirque, voici un duo et un solo inspirés. Des formes hybrides qui s’articulent autour du cirque, mais aussi de la danse et du théâtre. Un engagement physique et émotionnel rare pour ces deux belles échappées fantasmagoriques.
Avec Phasmes, la compagnie Libertivore continue le travail artistique abordé dans le spectacle Hêtre (solo créé en 2015 pour une danseuse aérienne et une branche suspendue). Puisant toujours son inspiration dans la nature, objet d’un émerveillement permanent, Fanny Soriano confronte encore l’humain à son environnement. Le parcours des interprètes confère au projet toute son originalité : la première est danseuse, acrobate aérienne, et Jules Beckman musicien, performeur multidisciplinaire.
Les personnages, un couple d’urbains, évoluent ici dans une forêt. Au gré des sentiers empruntés, les contours des corps deviennent flous, laissant la place à de furtives apparitions. Tantôt inquiétantes, tantôt drôles, celles‑ci plongent le spectateur dans un monde étrange, entre rêve et réalité.
De cette exploration, en clair-obscur, émerge un univers onirique empreint de mystère, car dans leur fusion, les corps donnent vie à une chimère. Cette créature, aussi bien animale que végétale, voire minérale, se déploie et se contracte, bref respire, en faisant naître des figures qui évoquent bientôt un phasme. Les corps enchevêtrés, sans queue ni tête, rampent sur le sol, galopent, se frayent un chemin pour survivre, jusqu’à s’apprivoiser l’un l’autre. Après l’organicité du biotope, l’unicité de l’individu.
Illusions d’optique et art du mouvement
Phasmes renouvelle le langage acrobatique. Malléables, les corps se métamorphosent à l’envi, comme de la matière, pour sonder l’homme dans son environnement (sur)naturel. En occupant l’espace de la sorte, les corps chorégraphiés dessinent les contours d’un monde empli d’espoir. Dans cette sphère esquissée par les flux circulaires, la vie y pulse de toutes parts : fougue et tendresse, brutalité et fragilité procurent de fortes sensations, comme dans le ventre d’une mère. Comme sur la terre nourricière, aussi.
L’art du mouvement concerne également Mélissa von Vépy, authentique fée des airs, à moins que ce ne soit une Alice en quête de sa véritable identité (lire encore « Miroir, miroir », de Mélissa von Vépy). Pourquoi donc se contenter d’un simple trapèze quand on peut inventer d’autres agrès, sources de nouvelles contraintes ? Ce sont d’ailleurs ses trouvailles scénographiques qui sont à l’origine de chaque spectacle. « Dans le parcours des gammes multiples de l’axe vertical, il y a l’instant de tous les possibles, où l’être se tient à la limite de l’envol, frôlant le sol, dégagé de tout poids », explique cette acrobate hors norme qui mène une exploration singulière des dimensions physiques et intérieures de la gravité.
Accompagné d’un pianiste, elle réalise, dans Miroir, miroir, une chorégraphie aérienne d’une grande inventivité et poésie. Le public est comme en apesanteur, suspendu à ses prouesses, car il a fallu que l’interprète apprivoise son poids et ses bascules imprévisibles, sans parler du tranchant du miroir éclaté. Efficace métaphore du redoutable face-à‑face avec soi-même.
Dans ce conte d’initiation, la belle en talons brise la glace pour faire disparaître cette image insupportable de la vieillesse. Miroir, mon beau miroir… Comment accepter les marques du temps ? Une mise en abyme vertigineuse qui laisse apparaître des bribes d’elle-même. Du coup, la voilà dans les tréfonds de son âme. Quelle périlleuse aventure que cette traversée du miroir qui mène aussi à une troublante métamorphose d’où jaillit la source de son intégrité !
Avec une grâce infinie, cette danseuse des airs nous emmène loin, très loin, au-delà des apparences. Avec elle, nous passons de l’autre côté, là où la représentation de soi est vaine, où les reflets diffractés en disent long sur nos problèmes existentiels. Décidément, cette pensée, qui se fait verticale, nous dépasse, nous élève. Une exceptionnelle performance physique et spirituelle. ¶
Léna Martinelli
Phasmes, de Libertivore
Site : www.libertivore.fr
Écriture, mise en scène : Fanny Soriano
Regards extérieurs : Mathilde Monfreux et Damien Fournier
Avec : Voleak Ung et Vincent Brière
Musique : Thomas Barrière
Lumière : Cyril Leclerc
Costumes : Sandrine Rozier
Fiche spectacle : http://www.biennale-cirque.com/fr/programme/phasmes-40
Photo : © C. Marc
Le Merlan, scène nationale de Marseille • avenue Raimu • 13014 Marseille
• Le 1er février 2017, 19 heures et jeudi 2 à 20 h 30
Dans le cadre de la 2e Biennale internationale des arts du cirque
Site : http://www.biennale-cirque.com/fr/
Durée : 45 minutes
20 € | 15 € | 8 €
Miroir, miroir, de Happés, théâtre vertical
Site : www.happes.org
Conception : Mélissa von Vépy
Collaboration artistique : Angélique Willkie
Avec : Mélissa von Vépy, Stéphan Oliva
Compositeur : Stéphan Oliva
Création lumière : Xavier Lazarini
Construction et scénographie : Dominique Grand
Création costumes : Suzanne Maia
Fiche spectacle : http://www.biennale-cirque.com/fr/programme/miroir-miroir-38
Photo : © Christophe Raynaud de Lage
Archaos • 22, boulevard de la Méditerranée • 13015 Marseille
Dans le cadre de la 2e Biennale internationale des arts du cirque
Site : http://www.biennale-cirque.com/fr/
• Le 1er février 2017 à 19 heures, le 2 à 18 heures
• Le 3 février 2017 au Théâtre le Liberté, à Toulon
Durée : 30 minutes
20 € | 15 € | 8 €