« Quatre boules de jazz », éditions Alter ego

Un tombeau vide

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Un livre sur Nougaro, par un de ses amis, c’est tentant. Si, de surcroît, l’ami est poète, le voyage promet d’être passionnant. Le livre tient-il ses promesses ?

Quatre boules de jazz, c’est le titre du dernier livre d’Yves Charnet, chez Alter ego. Pour qui connaît un peu Nougaro, le titre est transparent. Pour les autres, il y a le sous-titre, « Nougasongs », un des néologismes de l’auteur. Charnet est professeur, écrivain, poète et il fut l’ami de Nougaro pendant vingt‑trois ans. Cet homme partage avec Nougaro un certain nombre de choses comme le goût des mots, évidemment, la passion pour la corrida, également un certain goût des femmes, du vin, etc. Un penchant pour la dépression, sans doute aussi.

Très vite la question se pose, cependant : est-ce bien un livre sur Nougaro ? Yves Charnet, comme écrivain, pratique surtout l’autofiction, et ce livre n’échappe pas à ce penchant. Sous prétexte de nous parler de Nougaro, l’auteur nous parle beaucoup de lui. Il finit par l’avouer : « Ce n’est pas un livre sur Nougaro… Pas un bouquin sur Rachida (une de ses maîtresses)… C’est un livre sur le temps… ». Vous avez bien lu : le temps, et de faire référence à Proust. Hélas, n’est pas Proust qui veut, et les petites histoires de table ou de fesses de l’auteur nous laissent, me laissent en tout cas, parfaitement froid(s).

C’est l’auteur lui-même qui confesse son peu d’intérêt : « Je ne suis pas devenu grand-chose depuis ces années Nougaro… Un petit kleptomane des livres ».

Yves Charnet a manifestement été un jeune homme très prometteur comme le laisse penser son admission à l’École normale supérieure, mais sa carrière n’a visiblement pas été à la hauteur de ses débuts. Comme beaucoup de gens dans ce cas, surtout les dépressifs, il se dénigre volontiers, mais ne peut s’empêcher de rappeler son titre de gloire ou les gens, les endroits célèbres qu’il fréquente, les auteurs qui lui sont familiers… Néanmoins, comme le lui dit crûment un ami de Rachida : « Connaître Nougaro n’a jamais rendu personne plus beau. Votre mégalomanie est proportionnelle à votre bide ». On peut même préciser : écrire des ébauches de phrases trouées de points de suspension ne fait pas un Céline, être enfermé ne suffit pas à faire un Artaud et coucher avec une maîtresse exotique ne vous transforme pas en Baudelaire !

N’y a-t-il donc rien à sauver dans ce livre ? Autrement dit, le « tombeau » que Charnet est censé ériger pour son ami est-il vide ? Pas tout à fait. Malgré tous les défauts que je viens de relever, il arrive de-ci de-là que la présence de Nougaro s’impose à nous. C’est principalement vrai quand Yves Charnet le cite. On croit alors entendre la grande voix disparue. On retrouve sa façon si personnelle de scander notre langue et sa poésie faite de jeux sur les sons et les sens. Et là, c’est un vrai, c’est un grand plaisir. Pour ces moments trop rares, Yves Charnet mérite un peu d’indulgence. 

Jean-François Picaut


Quatre boules de jazz, Nougasongs, d’Yves Charnet

Éditions Alter ego, collection « Jazz impressions »

I.S.B.N. : 978-2-915528-47-3

alteregoeditions@yahoo.fr

19 €

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