« Qui va garder les enfants », de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux, Théâtre de Belleville à Paris

« Qui va garder les enfants » de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux © Richard Volante

De la peur à la part de l’autre

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Déjà ouvrier ou boxeur à la scène, Nicolas Bonneau se métamorphose cette fois en femmes politiques pour évoquer leurs combats et leur quotidien. Résultat : un spectacle protéiforme où la satire (parfois maladroite) côtoie heureusement des moments de sincérité et de poésie.

Nicolas Bonneau a l’art de faire théâtre de rien. Quelques accessoires habilement choisis, l’art et le goût d’incarner les autres, et le tour est joué. On avait déjà expérimenté ce talent dans Sortie d’usine ou Ali 74, le combat du siècle ; on le retrouve dans Qui va garder les  enfants ? Le plateau reste en effet très dépouillé : il est occupé par quelques chaises et surtout par un mystérieux escalier qui offre des échappées belles vers d’autres lieux ou d’autres temps. Le fin travail sur la lumière de Rodrigue Bernard met en beauté cette scénographie conçue pour privilégier le rapport avec le public. L’imagination, stimulée par l’art du comédien, fait le reste.

Il faut dire que le plaisir du jeu qu’éprouve Nicolas Bonneau est communicatif. Ses métamorphoses sont incessantes : il campe Yvette Roudy ou nous fait vivre vingt-quatre heures de la vie d’une femme politique en milieu rural. Ce théâtre documentaire est haut en couleurs. On pourrait croire que l’artiste force le trait, mais la situation des femmes n’est-elle pas parfois caricaturale ? Le plus souvent, on est emporté par une verve digne d’un Philippe Caubère. Sauf qu’ici, on n’intitulerait pas le spectacle Ariane, ou l’âge d’or mais plutôt Ségolène ou l’âge de fer. Car pour se frayer un passage dans un monde d’hommes, soucieux de conserver leurs privilèges, il faut être plus que déterminée.

Retour à Reims inversé

Ce tourbillon d’incarnations laisse parfois place à des moments de confidence, voire de récit poétique. C’est dans ces derniers registres que Nicolas Bonneau nous étonne et semble le plus juste. Quand l’artiste nous révèle la genèse de son spectacle et son roman de formation féministe, il délaisse toute affèterie et fait mouche. Il y a alors comme une sorte de Retour à Reims inversé. Didier Eribon s’interrogeait sur les raisons qui l’avaient conduit à négliger la domination de classe, lui qui consacrait sa vie à étudier l’oppression sexuelle. Inversement, Nicolas Bonneau se demande comment sa dénonciation des inégalités de classes a pu coïncider avec son indifférence pour l’inégalité entre les sexes.

Les errances et les outrances du spectacle peuvent être revues alors comme les étapes de ce roman de formation. L’interprète y montre un homme qui passe de la peur de l’autre (exprimée dans une scène surréaliste d’égarement dans une vulve géante), à son acceptation. Nicolas Bonneau, choisit d’affronter les critiques qui pourraient lui être faites. Il proclame, par exemple, son droit d’homme à porter une parole féministe, comme le Théâtre du Soleil revendiquerait celui de dénoncer les violences commises contre les autochtones au Québec, sans appartenir à cette communauté. On apprécie l’honnêteté.

Alors, bien sûr, le spectacle pourrait être encore plus nuancé. Ses thématiques pourraient être portées par des femmes. Mais comme dirait l’autre, « nobody is perfect ». Ce serait un autre spectacle. 

Laura Plas


Qui va garder les enfants ?, de Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux

Compagnie La Volige

Mise en scène : Nicolas Bonneau et Gaëlle Hérault

Avec : Nicolas Bonneau

Durée : 1 h 15

À partir de 12 ans

Teaser vidéo

Théâtre de Belleville • 94, rue du Faubourg du Temple • 75011 Paris

Du 16 janvier au 31 mars 2019, du mercredi au samedi à 19 h 15, le dimanche à 15 heures, en mars le mardi à 19 h 15

De 10 € à 26 €

Réservations : 01 48 06 72 34


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Parution de Village toxique, de Nicolas Bonneau

Sortie d’usine (récits du monde ouvrier), de Nicolas Bonneau, par Laura Plas

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