Rencontre des Jonglages, 16e édition, Ile-de-France

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Du jonglage pour tous

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Du 30 mars au 13 mai, la Rencontre des Jonglages se déploie dans toute l’Île-de-France, dont un « coeur de festival » du 13 au 16 avril à Houdremont, centre culturel de La Courneuve. Soit près d’un mois consacré au jonglage sous toutes ses formes, un riche panorama de la création.

Unique dans le monde, cette scène conventionnée est attachée au pluriel, puisqu’elle promeut la variété des arts du jonglage, non cantonnés au cirque. Vincent Berhault, directeur de la Maison des Jonglages à la Courneuve, structure organisatrice, y défend une vision ouverte de cet art : « Cette année encore, les artistes démontreront que, grâce à leurs objets et à leurs corps en mouvement, ils et elles peuvent aborder tous les registres, écrire des histoires abstraites ou concrètes, personnelles ou universelles, et construire des paysages visuels aux émotions intenses ».

Petites ou grandes formes, propositions en salles ou dans l’espace public (entrée libre en extérieur), cette programmation comprend quelques reprises. Un choix assumé : « Diffuser fait partie de nos missions. Nous devons accompagner au mieux les artistes, les soutenir par des commandes, des résidences », (comme avec la cie De Fracto, qui donnera une masterclass avec les étudiants de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et les apprentis de l’Académie Fratellini : Taïji, une traduction de l’intérieur ».

Le festival prend une dimension européenne, avec une dizaine de nationalités représentées dans les compagnies invitées (dont l’Irlande, la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, la Suède, l’Espagne) et la participation au projet The Sphere, soutenu par Europe Creative. MATERIA 3.0 – Aerogami (Utka Gavuzzo), inspiré de MATERIA (Andrea Salustri), repéré à Circusnext, atteste non seulement d’un intérêt certain pour l’émergence, mais aussi pour la réflexion sur des problématiques de fond (le répertoire et la notion d’auteur dans les arts du cirque).

Bien sûr, on ne manquera pas la star internationale Wes Peden, considéré comme le représentant d’un jonglage « ultra-moderne et post-punk » : entouré de structures gonflables géantes, Rollercoaster innove avec ses inspirations foraines, tels les grands huit. Ça décoiffe !

C’est aussi l’occasion de découvrir des dernières créations, comme celle attendue de la cie Scratch (Drache Nationale) qui se demande « Comment positiver quand c’est la merde ? ». La manipulation d’objets (balles, massues, décors) est au centre de ses recherches. Un univers singulier fondé sur le scratch, les « chorégraphies idiotes », les anticlimax et le surréalisme belge (« tout est possible mais pas n’importe quoi »). Ce spectacle est aussi présenté le 13 avril, dans le cadre de l’Inauguration RueWATT, dans le 13e arrondissement de Paris.

Pas de côté

Le mélange des genres est une source indéniable de créativité. On trouve des croisements évidents avec d’autres disciplines, comme avec le théâtre d’objet ou le burlesque, mais aussi avec le mouvement ou les arts plastiques.

En effet, nombreux sont les clowns à avoir une spécialité. C’est le cas de Florent Lestage (Le Cirque du Ravi ; Entretien avec un jongleur). Quentin Brevet, sans nez rouge quant à lui, (À tiroirs Ouverts, cie Majordome) transforme les balles en compagnons de jeu et personnages imaginaires. Seul, un brin cabot, il se prend les pieds dans les plis de la vie, tombe beaucoup et se relève toujours. Ouvrant les tiroirs de son monde intérieur, il donne à entendre « le bruit du dedans ».

Thomas Dequidtest (prix SACD de l’Auteur-jongleur de l’année 2020) est aussi virtuose et irrésistible. Son spectacle tout public et tout terrain GlounTeko (Le Cirque Inachevé) est parfaitement adapté pour l’extérieur. Idem pour Angèle (Marcel et ses drôles de femmes) qui va tenter de vaincre toutes les surprises de l’existence, munie de ses hulahoops, son micro et son K-Way bleu. Imparable !

Les magiciens ont également plusieurs cordes à leur arc : Félix Didou crée des ponts entre les deux disciplines. Dans Un jour de neige (cie L’ombre), un homme confronté lui aussi à la solitude joue au funambule pour ne pas sombrer dans la folie. Malgré ses tentatives de se rattacher à sa routine, il bascule dans un univers empli de mystères. Drôlement poétique !

Dans Lontano (dans le cadre de « Plateau moyens formats »), l’acrobate Marica Marinoni repousse les limites du corps, avec la roue Cyr pour objet totem. De même, manipulation d’objet et mouvement se combinent dans Stickman, une pièce de Darragh Mcloughlin, qui joue sur nos perceptions à l’aide d’un bâton en contact permanent sur son corps. La réflexion sur l’influence des images, via un moniteur en fond de scène, rapproche cette proposition des performances d’art contemporain.

Dans Inertie (Underclouds cie), l’objet prend une dimension sculpturale (lire l’article de Stéphanie Ruffier). Un duo chorégraphié puissant où l’équilibre repose sur la confiance avec son partenaire. Transversalité, encore, avec Mobile, de Jörg Müller, jonglage aux allures de manège planétaire. Une proposition ô combien hypnotique !

Sinking Sideways est un jeune collectif d’acro-danse qui explore le « cirque minimaliste » et la chorégraphie. Leur fascination pour le jonglage est le point de départ de Cécile (création 2023), sauf qu’ici, il n’y a rien à lancer à part… des corps ! À la recherche de nouvelles manières de bouger ensemble, ces belges proposent une « jonglerie humaine » surprenante inspirée de la trajectoire de balles.

Dans UmWelt (cie Endogène), Morgan change aussi sa manière d’appréhender son environnement pour devenir « le premier d’une nouvelle lignée de mammifères jongleur·euse·s : Homo Jonglisticus ! ». Un soliloque complètement jonglé ras du sol mais de haute tenue ! Le jonglage n’est décidément plus assignable à une catégorie. Comme pour les genres, les spectacles se font hybrides.

Voici une autre occasion de vivre une expérience sensorielle forte, à la fois visuelle et physique, avec le collectif Petit Travers qui ne cesse de renouveler l’écriture du geste jusque dans sa dimension théâtrale. Tandis que S’assurer de ses propres murmures révèle la musicalité de l’objet (lire notre critique), Nuit fait surgir, à la lueur de bougies, des silhouettes de quelques figures, d’une flamme, de balles. Un réel enchantement (lire notre critique).

« Sans limite ou définition précise de ce que jongler veut dire », son directeur ouvre au-delà de l’art. Ainsi, l’axe avec le sport est-il toujours important : « Et ce n’est pas par opportunisme par rapport aux Jeux Olympiques de 2024 ! », tient-il à préciser. Footstyle, le collectif avec le plus de titres au monde, sera en interaction avec le public, pour faire découvrir et mieux comprendre cette discipline où figures, acrobaties et jonglages se mêlent dans des chorégraphies réglées au millimètre.

La pratique ludo-sportive n’empêche pas certaines compagnies de développer de vraies écritures. Dans Runners (Hippana.Maleta), deux jongleurs se retrouvent liés aux règles des machines à courir, tandis qu’un musicien les orchestre à travers une série de jeux et d’expériences. Maline, cette célébration de la marche et du lancer d’humains dans une culture de plus en plus immobile !

Depuis 2020, le festival propose Expérimentations Arts et Sciences, une forme inédite de rencontre, qui prend la forme d’échanges de savoirs et de pratiques entre un chercheur et un artiste, un dialogue en binôme aboutissant à la réalisation d’œuvres collaboratives. Cette année, l’approche est socio-ethnographique (le corps au travail ; l’exploration de mondes parallèles et trajectoires contrariées : Chuter. Petite sociologie du jonglage pour un travail contre-productif et Rétrocausalités).

Reflet de la diversité

Les spectacles plus « classiques » ne manquent pas d’originalité. Là aussi, il existe une étonnante variété : « Gestes de tous les jours, petites ou grandes prouesses, deviennent, le temps d’un spectacle, uniques et incroyables », précise Vincent Berhault. Pour avoir un avant-goût, signalons MATERIA, d’Andrea Salustri, qui explore les possibilités du polystyrène, et dont nous avions pu apprécier un extrait (lire notre article). Quand des matériaux, y compris les plus improbables, ne sont pas exploités, dans leurs formes, lois physiques, symboliques, des esthétiques surprennent.

Grâce à des techniques sur mesure, Emil Dahl dévoile, dans HOLY, une diversité de variations autour de l’oscillation, du balancement et de l’instant suspendu avec l’anneau. Des défis à la gravité relevés dans un subtil équilibre. Haut la main !

Si la technicité est parfois démonstrative, elle peut également servir le propos de la pièce. La jonglerie est alors au service d’une dramaturgie. Time to tell, (cie Unijambiste) en est le parfait exemple. Martin Palisse y raconte sa maladie. De celle qui asphyxie, de son incidence dans le rapport aux autres, les choix de vie, les postures… Un propos puissant et un engagement sans concession qui illustrent aussi bien la force que la vulnérabilité à l’œuvre (lire notre critique).

À l’image du vivant, le jonglage est fait d’essais, d’instabilité. « Chute, erreur, faute ou encore échec… Qu’est-ce qu’évoque le raté dans le jonglage ? Une vraie prise de risque, une astuce dramaturgique, un mode d’apprentissage ou encore une esquive face à l’obligation de réussite ? » Des artistes et des penseurs partageront leurs réflexions et expériences. La cie Ea Eo invite « les jongleur·euse·s perdu·e·s ou cherchant à le devenir » à la troisième édition de la Convention du raté, du ratable et du pas encore raté, où sont prévus des jeux de la jongle pour débutants ou confirmés et non jongleurs, des scènes ouvertes pour un public de deux personnes, les premiers championnats du monde de drop (la chute), des workshops, des conférences.

Convivialité en terres jonglées

Porté par la Maison des Jonglages, mais co-organisé par 14 lieux de diffusion, le festival a la mobilité dans son ADN. Depuis la Seine-Saint-Denis, il rayonne jusque dans le Val de Marne. Mais celui-ci commence dans le Val d’Oise, avec Juventud de la cie Nicanor de Elia (lire la critique), à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau lieu, Le Cube Garges, qui remplace l’Espace Lino Ventura.

Vincent Berhault se réjouit que les partenariats se structurent autour d’une thématique, tels Le Carreau du Temple et le Théâtre Louis Aragon, autour de la danse. La collaboration avec Circunext se poursuit : <3 (Smaller than three),dans le cadre du « Plateau moyens formats », fait partie des douze derniers projets. Ces équipes présélectionnées auront donc l’opportunité de présenter au public leur travail de recherche.

Les générations d’artistes se croisent et les publics aussi : « Le jonglage est un art vivant accessible à tous », conclut Vincent Berhault. La dimension populaire se vérifie dans les salles et dans les propositions autour des spectacles, multiples sources de convivialité. Ainsi, des projets d’actions culturelles sur le territoire avec les artistes et les acteurs du milieu sportif, relient-ils milieux amateur et professionnel.

Et pour finir, une proposition insolite qui repousse encore plus loin les limites : avec la livraison à domicile de menus jonglés (Allô Jonglage ! cie Première Intention), il sera impossible d’oublier son livreur. Le but : créer du lien humain en jouant sur la frontière entre art et vie quotidienne. Et nul besoin de pousser les meubles ou d’aménager son intérieur pour recevoir une livraison jonglée ! C’est aussi simple qu’un sourire.

En somme du jonglage, sous toutes ses formes, pour tous ! 🔴

Léna Martinelli


Rencontre des Jonglages

16e édition, du 30 mars au 13 mai 2023
Organisée par La Maison des Jonglages, scène conventionnée
Houdremont, Centre culturel La Courneuve • 11, avenue du Général Leclerc • 93120 La Courneuve • 01 49 92 60 54
Programmation détaillée ici
Tarifs : de 3 € à 10 € • Pass coeur de festival : 60 € pour 10 spectacles (tarif réduit : 30 €)

À chaque lieu complice sa billetterie :
• Houdremont centre culturel, La Courneuve • 01 49 92 61 61 • Billetterie en ligne et Pass Festival
• Parc Départemental de la Courneuve Georges-Valbon • Billetterie en lignefestival.maisonjonglages@gmail.com
• Cinéma L’Étoile, La Courneuve • 01 49 92 60 54 • infos.maison.jonglages@gmail.com
• Maison du Théâtre et de la Danse, Épinay-sur-Seine • 01 48 26 45 00 • saison.culturelle@epinay-sur-seine.fr
• Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France • 01 49 63 70 58 • reservation@tla-tremblay.frBilletterie en ligne
• Sham, Le Bourget • 07 68 52 38 00 • contact.shamspectacles@gmail.com
• Auditorium Angèle et Roger Tribouilloy, Bondy • 01 48 50 54 68
• Fête des Tulipes, Saint-Denis • Gratuit et en accès libre sans réservation
• Le Cube Garges (Espace Lino Ventura), Garges-lès-Gonesse • 01 34 53 31 00 • espacelinoventura@villedegarges.com
• Scène nationale de l’Essonne, Agora-Desnos, Évry • 01 60 91 65 65 • accueil@scenenationale-essonne.comBilletterie en ligne
• L’Atelier du Plateau, Paris • 01 42 41 28 22 • reservation@atelierduplateau.org
• Le Carreau du Temple, Paris • 01 83 81 93 30 • billetterie@carreaudutemple.orgBilletterie en ligne
• Coopérative De Rue et De Cirque (2r2c), Paris • Gratuit et en accès libre sans réservation
• École nationale des Beaux-Arts de Paris, Paris • 01 47 03 50 00 • Gratuit et en accès libre sans réservation

À découvrir sur Les Trois Coups :
Entretien Avec Vincent Berhault, 15e édition Rencontre des jonglages, par Léna Martinelli
« Petites histoires sans gravité », de la compagnie Underclouds, par Léna Martinelli

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