« Retour à Reims » : Ostermeier cherche son chemin
Par Maxime Grandgeorge
Les Trois Coups
Adapter sur scène l’essai autobiographique du philosophe et sociologue Didier Eribon n’était pas une mince affaire. Malgré un dispositif scénique original, Thomas Ostermeier ne convainc pas avec ce « Retour à Reims ».
Moins de deux ans après sa création anglaise et allemande, Retour à Reims est finalement monté à Paris, à l’Espace Cardin qu’occupe le Théâtre de la Ville. Ce spectacle intriguant est né de la rencontre impromptue du sociologue français Didier Eribon, disciple de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault, et du metteur en scène allemand Thomas Ostermeier, star du théâtre européen.
Lorsqu’il découvre Retour à Reims, Thomas Ostermeier y voit tout de suite un matériau idéal pour aborder l’échec de la gauche et la montée de l’extrême droite en Europe. Car dans cet essai autobiographique, l’auteur évoque un pan de l’histoire sociale de la France en retraçant la sienne, remontant de sa position de professeur à l’université jusqu’à ses origines dans une famille ouvrière. Il analyse aussi une trajectoire politique, celle qui a mené ses parents à basculer du Parti communiste vers le Front national.
Pour donner vie au texte, le metteur en scène a choisi un dispositif original mêlant théâtre et cinéma. La scène de l’Espace Cardin est transformée en un studio d’enregistrement. Une actrice engagée doit y interpréter le commentaire d’un documentaire en cours de montage, consacré à l’essai du sociologue.
Irène Jacob incarne cette comédienne. Elle prête sa voix aux réflexions de Didier Eribon, tandis que des images d’archives (Parti communiste, Mai-68, victoire de François Mitterrand, « gilets jaunes ») et de la banlieue rémoise défilent sur un grand écran, au-dessus de la scène. Les sessions d’enregistrement virent progressivement au débat politique à mesure que l’actrice, le réalisateur du documentaire (Cédric Eeckhout) et l’ingénieur du son (Blade Mc Alimbaye) s’approprient les questions soulevées par l’essai.
Et la classe ouvrière, dans tout ça ?
Ce dispositif de mise en abîme a l’avantage de permettre aux personnages de débattre et de rendre vivantes les réflexions de l’auteur. Mais parler de politique ne suffit pas à faire un spectacle politique. Le résultat, pétri de bons sentiments, est décevant. Thomas Ostermeier multiplie les clichés bien-pensants – version marxiste (lutte des classes, misère ouvrière) ou contemporaine (appropriation culturelle, mansplaining) – sur l’oppression des minorités, sans véritablement prendre de recul.
L’ouvrage de Didier Eribon avait-il besoin de ces ajouts ? Avait-il d’ailleurs besoin d’être adapté au théâtre ? Non seulement la pensée complexe de l’auteur ne se prête pas toujours bien à l’exercice théâtral – « Bon, ça c’est peut-être pour les spécialistes », concède l’actrice, non sans humour –, mais les dialogues échangés entre les personnages n’apportent rien au propos du sociologue.
Là où cette adaptation semble vraiment louper le coche, c’est en s’adressant à un public convaincu. Hormis un passage qui vient chatouiller l’amour-propre de l’auditoire parisien, dans lequel Didier Eribon critique le contentement et le sentiment de supériorité que tirent de la culture ceux qui y ont accès, le spectacle ne cesse de flatter l’ego de ceux qui ont justement le privilège de se rendre au théâtre.
Or, ce ne sont pas aux spectateurs issus des classes aisées, qui déplorent comme lui la montée des populismes, que pourrait s’adresser Thomas Ostermeier, mais à ceux auxquels est consacré l’essai, les ouvriers qui ont déserté les rangs du Parti communiste pour se jeter dans les bras de l’extrême droite. Un tel geste théâtral aurait été beaucoup plus fort politiquement. ¶
Maxime Grandgeorge
Retour à Reims, d’après Didier Eribon
Version française du spectacle créé à la Schaubühne de Berlin
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Avec : Cédric Eeckhout, Irène Jacob et Blade Mc Alimbaye
Scénographie et costumes : Nina Wetzel
Musique : Nils Ostendorf
Son : Jochen Jezussek
Dramaturgie : Florian Borchmeyer, Maja Zade
Lumières : Erich Schneider
Réalisation vidéo : Sébastien Dupouey et Thomas Ostermeier
Prises de vues : Marcus Lenz, Sébastien Dupouey et Marie Sanchez
Montage : Sébastien Dupouey
Prise de son : Peter Carstens et Robert Nabholz
Musique : Nils Ostendorf
Design sonore : Jochen Jezussek
Recherche archives : Laure Comte et Bagage (Sonja Heitmain, Uschi Feldges)
Durée : 1 h 45 environ
Théâtre de la Ville – Espace Cardin • 1, avenue Gabriel • 75008 Paris
Du 11 janvier au 16 février 2019
De 15 € à 36 €
Réservations : 01 42 74 22 77