Un puissant avertissement
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Interprété par Lars Eidinger, le personnage de Richard III emporte tout sur son passage dans une mise en scène vigoureuse de Thomas Ostermeier dédiée à son exceptionnel talent.
La guerre des Deux-Roses est terminée. Mais pendant la paix fragile établie entre les Lancaster et les York, les ressentiments et les haines restent tapies dans l’ombre. Seul Richard, au milieu des fêtes hypocrites célébrant la fin des conflits, poursuit implacablement ses projets criminels. Lui, le bafoué, l’estropié, le mal-aimé, entame sa descente volontaire aux enfers en faisant éliminer systématiquement tous ceux, adultes comme enfants, susceptibles de lui barrer l’accès au trône. Dans sa quête abjecte et jouissive du pouvoir, Richard découvre aussi qu’il est pour lui-même un redoutable ennemi. Dans la version nerveuse présentée ici du texte de Shakespeare, Thomas Ostermeier fait de la mort de Richard un terrible cauchemar.
Principe de précaution : ce spectacle de la Schaubühne de Berlin est une très forte réalisation, et je l’ai vu dans d’excellentes conditions. Rôle-titre porté de façon exceptionnelle, distribution impeccable, déroulement intense sans temps mort, scénographie impressionnante, lumières, musique et vidéo parfaitement maîtrisées. Mais je suis arrivé au théâtre fortement contaminé par un syndrome bien connu des festivals. La rumeur hyperbolique concernant la réussite du spectacle. Dangereux poison anéantissant à l’avance toute possibilité d’une opinion nuancée. Et pourtant…
La version et la traduction écrites par Marius von Mayenburg ne sont pas exemptes de reproches. Par exemple, même si les coupures opérées dans le texte original apportent une dynamique dramatique efficace, la compréhension des péripéties et des enjeux annonçant la fin prochaine de Richard III n’est pas aisée. Une certaine confusion s’installe. D’autre part, le choix dominant de mettre en jeu les personnages et les situations souvent à partir de la salle est un peu répétitive. Elle surligne la belle idée destinée à faire du public des Richard en puissance ou des complices de toutes ses exactions. Elle fait courir le risque aux autres protagonistes de paraître n’être que des figures, voire des fantoches. Paradoxale émotion, les enfants héritiers potentiels du trône vacant, représentés par des marionnettes, ont presque plus d’humanité.
Lars Eidinger : un comédien d’exception
Comme pour le Roi Lear ou Lady Macbeth, Richard III exige des comédiens d’exception. Lars Eidinger en est un. Impressionnantes sont ses variations virtuoses. Pervers polymorphe, il conduit inexorablement le bal maudit de ses forfaits avec une aisance fascinante. Mais, respectueux de la volonté dramaturgique de Thomas Ostermeier d’abolir au maximum le quatrième mur du théâtre, il se déchaîne parfois comme un étalon fou sur la piste ensablée du décor qui déborde dans la salle. Je l’ai donc vu, pour le plaisir de manifester la distance prise avec son rôle, abandonner puis retrouver son handicap physique pour gravir frénétiquement les escaliers de la scénographie. Et je l’ai vu avec moins de bonheur multiplier les clins d’œil complices avec les spectateurs, manière insistante de souligner la vanité du quatrième mur. Était-ce bien indispensable d’aller jusqu’à faire de Richard, par instants, une sorte de bouffon berlusconien au profil d’animateur de show ?
Réitération du principe de précaution : malgré les quelques réserves déjà émises, ce Richard III reste une formidable création. Mais je suis venu au théâtre avec mes souvenirs. Ici, à Avignon, Georges Lavaudant triompha avec sa somptueuse mise en scène de la même œuvre. Ariel Garcia Valdès était son éblouissant Richard. Les premières scènes régies par Ostermeier m’ont rappelé une esthétique semblable, violente, chic et glacée.
Pour finir, qu’on ne se méprenne pas. Ce Richard III de 2015 m’a passionné. Thomas Ostermeier et sa troupe envoient au public, qui ce soir-là riait beaucoup, un puissant avertissement. Le cauchemar ultime de Richard, terrible et stupéfiante invention de la mise en scène, est aux portes de nos sociétés. En France, en Hongrie ou ailleurs en Europe, des dirigeants ou aspirant à le devenir, grotesquement fardés, pourraient nous préparer de tragiques lendemains. ¶
Michel Dieuaide
Richard III, de William Shakespeare
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Version et traduction : Marius von Mayenburg
Avec : Thomas Bading, Robert Beyer, Lars Eidinger, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Jenny König, Laurenz Laufenberg, Eva Meckbach, Sebastian Schwarz, et le musicien Thomas Witte
Scénographie : Jan Pabbelbaum
Dramaturgie : Florian Borchmeyer
Musique : Nils Ostendorf
Lumière : Erich Schneider
Vidéo : Sébastien Dupouey
Costumes : Florence von Gerkan, Ralf Tristan Scezsny
Marionnettes : Susanne Claus, Dorothée Metz
Chorégraphie du combat : René Lay
Photos du spectacle : © Arno Declair
Photo de Thomas Ostermeier : © Paolo Pellegrin
Production : Schaubühne Berlin
Opéra Grand-Avignon les 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 14, 16, 17, 18 juillet 2015 à 18 heures
Réservations : 04 90 14 14 14
Spectacle en allemand surtitré en français
Durée : 2 h 30
Festival d’Avignon : www.festival-avignon.com
Courriel : festival@festival-avignon.com
Renseignements : +33 (0) 4 90 14 14 60
Réservations : +33 (0) 4 90 14 14 14 de 10 heures à 19 heures
Tarifs : de 28 € à 10 €