Un chapiteau en folie
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
La 38e édition de Jazz in Marciac (Gers) se poursuit jusqu’au 16 août, mais c’était hier la soirée de clôture pour le chapiteau. Deux femmes ont su y enflammer le public.
La fin du festival, sous le chapiteau, donne toujours un pincement au cœur de tous ceux qui ont pu vibrer chaque soir à l’unisson des grands noms que Marciac rassemble chaque année. Aussi, l’idée de terminer en beauté par une extra-night, vraie fête de la musique est-elle à saluer.
Le 12 août 2015
Robin McKelle & The Flytones font délirer le chapiteau
Conduits par le bassiste Fred Cash Jr, les Flytones of Memphis sont une vraie machine à produire de l’énergie soul. Ils ont déjà bien commencé à chauffer l’atmosphère quand Robin McKelle fait son entrée. Elle s’adresse d’emblée de jeu au public en français. Elle le parle très bien et ne se servira guère que de notre langue pendant tout le concert.
C’est la troisième fois que j’écoute la chanteuse sur scène et je suis toujours surpris de voir cette femme à l’allure bon chic bon genre interpréter la soul avec autant de fougue et de panache. Il n’est pas étonnant qu’elle se réclame, ce soir encore, du patronage de Tina Turner. Elle arpente la scène, décidée, aiguillonne ses musiciens qui n’en ont guère besoin, stimule le public, danse, saute, se retrouve accroupie ou à genoux, le tout sur un rythme à couper le souffle en interprétant des chansons dont elle est l’auteur-compositeur, le plus souvent. On se réappropriera l’essentiel de ce concert sur son dernier disque Heart of Memphis (Okeh / Sony / Mastersworks, 2014).
Il faut aussi indiquer que sa puissante voix d’alto fait également merveille dans les ballades et même la romance. La première qu’elle a interprétée ce soir a provoqué un tel enthousiasme dans le public qu’il s’est levé pour une longue ovation.
Après un intermède purement musical, le concert est malheureusement un peu tombé dans le gros son, aux dépens des nuances. On signalera néanmoins les riffs ravageurs du guitariste Al Street.
Zaz : une chanteuse survitaminée
Certains ont été étonnés, voire suffoqués de voir la chanteuse Zaz au programme d’un festival de jazz. Il faut d’abord leur rappeler qu’elle figurait à Marciac dans le cadre d’une extra-night. C’est aussi oublier une partie du parcours de la jeune femme qui avoue à une consœur aimer Michel Petrucciani, Richard Bona ou Bobby McFerrin… N’a-t-elle pas chanté dans un combo de blues et pratiqué le gospel ? Aux sceptiques, on dira encore que Quincy Jones a participé à son dernier opus, Paris (Play on / Warner Music, 2014)
Cet album est fait de reprises de chansons qui expriment toutes la joie de vivre à Paris. La chanteuse les interprète ce soir sur la scène de Marciac accompagnée de musiciens de la scène jazz française et d’élèves du conservatoire à rayonnement régional de Toulouse.
Le concert s’ouvre par un remarquable solo d’Éric Séva au saxophone soprano. Zaz enchaîne avec Sous le ciel de Paris. Les arrangements sont clairement jazzy et la chanteuse l’interprète sur un rythme effréné qui surprend un peu. La Parisienne, que Marie‑Paule Belle ne chantait déjà pas lentement, est traitée de la même façon. On comprend rapidement avec Paris canaille, Paris s’éveille, J’ai deux amours et même la Complainte de la butte qu’il s’agit d’un parti pris des arrangeurs et de la chanteuse. L’avantage est une indéniable légèreté et une énergie communicative. L’inconvénient, un certain nivellement des textes. On y ajoutera des problèmes d’articulation qui ne rendent pas tout audible.
Qu’importe, Zaz se donne à fond, et le public la suit. Elle est tellement lumineuse, souriante et d’un entrain à faire bouger les pierres. Elle sait aussi laisser de la place à son orchestre qui, pour le coup, sonne terriblement jazz avec Éric Séva déjà cité, Claude Égea (trompette), Denis Leloup (trombone), Ilan Abou (contrebasse), Édouard Algayon et Guillaume Juhel (guitares), etc.
Sur I Love Paris, Zaz invite Robin McKelle. Elles commencent chacune à chanter une partie de la chanson et la comparaison est cruelle pour Zaz, mais les choses se rétablissent quand elles scattent. C’est l’occasion d’une joute extraordinaire où chacune brille dans son registre, et qui est permet aussi de remarquables solos de trompette, contrebasse et batterie. Le public, debout, est aux anges. Et cela va encore se poursuivre dans les rappels avec une ravageuse interprétation des Champs-Élysées.
Il s’est mis à pleuvoir sur le chapiteau, mais, à l’intérieur, nul n’en a cure : il fait grand soleil dans les cœurs. ¶
Jean-François Picaut
Jazz in Marciac, 38e édition
Du 27 juillet au 16 août 2015 à Marciac (Gers)
Réservations : 0892 690 277 (0,34 € / min)
Site : www.jazzinmarciac.com
Photos : © Jean-François Picaut