« Rumeur », de Loge 22 et « Hunted », de Maud Le Pladec et Okwui Okpokwasili, Aire de jeu, les Subsistances à Lyon

« Rumeur » © Romain Étienne / Collectif Item

Rendez-vous manqué et danse ensorcelée

Par Élise Ternat
Les Trois Coups

Parmi les rendez-vous incontournables du début d’année figure désormais le festival Aire de jeu aux Subsistances. Son principe demeure inchangé : chorégraphes et musiciens sont invités à mener des projets communs autour des œuvres d’un compositeur de musique contemporaine. Le virtuose finlandais Kalevi Aho participe au sommaire de cette quatrième édition. Côté danse, cette année est marquée par la présence de Maud Le Pladec, du collectif Loge 22, et d’Adam Linder. Retour sur deux des trois propositions présentées : « Rumeur » et « Hunted ».

Le collectif Loge 22 à l’origine du festival Spider organisé l’année passée aux Subsistances revient et signe avec Rumeur une proposition qui laisse pour le moins perplexe, voire sceptique. En réponse à la dimension épique de certaines compositions de Kalevi Aho, cette forme chorégraphique est censée s’inspirer des Métamorphoses d’Ovide.

Ici, Marie Goudot, Michaël Pomero, Julien Monty, à la fois auteurs et interprètes, ont choisi de mettre en avant le processus de création. Celui-ci repose sur un dispositif où les danseurs ont les yeux bandés et sont accrochés les uns aux autres par une corde. De là se crée un jeu permanent de dépendance, d’équilibre et de tension. Si la proposition initiale semble tout à fait pertinente, notamment dans sa correspondance avec le morceau exécuté à la flûte traversière par Chrissy Dimitriou, l’ensemble s’essouffle ensuite peu à peu. Bien que la gestuelle des trois danseurs soit irréprochable par sa précision et sa fluidité, elle s’apparente à bien des égards à un exercice de style plus ou moins opaque. Car, en choisissant de mettre musique et danse côte à côte, le collectif s’est risqué à un questionnement un peu facile et dont l’effet déçoit. Les nombreux intermèdes qui ponctuent les différentes séquences ont un intérêt pour le moins didactique, mais n’arrangent malheureusement pas vraiment la chose. Aussi, l’âpreté du contenu porté par un rythme globalement assez poussif peine à vraiment capter l’attention. La scénographie, quant à elle, consiste en une surface de projection sur un côté du fond de plateau où se fait et se défait un paysage marin à mesure de la montée des vagues.

Ainsi, à trop vouloir jouer avec l’indicible, le non-dit et le silence, Loge 22 s’emmure dans un exercice formel qui laisse dubitatif quant à son propos réel ou supposé. Rumeur donne le sentiment que musique et danse se sont croisées comme sous l’effet d’un prétexte et cela sans jamais vraiment se rencontrer.

Okwui Okpokwasili, l’ensorceleuse

« Hunted » © Romain Étienne / Collectif Item
« Hunted » © Romain Étienne / Collectif Item

Changement radical d’univers avec la création Hunted proposée par Maud Le Pladec et Okwui Okpokwasili. Ici, c’est la figure de la sorcière qui est invoquée. Sur scène, Okwui Okpokwasili incarne cette représentation mythique au moyen de la danse, du chant et du verbe. C’est un incroyable tour de force que l’artiste nous livre sur fond d’accordéon. En créature hors norme à la parole aiguë, crue, politique, sexuelle, militante, Okwui Okpokwasili hypnotise littéralement. Haut perchée sur des talons et vêtue d’une magnifique robe en cheveux, la performeuse au corps musculeux et longiligne se meut, se contorsionne et se déplace avec une présence que l’on croirait surnaturelle. La partition de Kalevi Aho acquiert une dimension quasi démoniaque donnant à l’instrument une musicalité d’une puissance rare. L’accordéon fait littéralement corps avec les propos ; les compositions, ici interprétées par Jean‑Étienne Sotty et Fanny Vincens, semblent avoir été taillées sur mesure pour cette création. La scénographie jouant sur des effets d’éclairage et de disparition renforce encore davantage la portée mystérieuse de l’ensemble. Insoumise, marginale, indépendante et terriblement venimeuse est la sorcière que nous présente Okwui Okpokwasili. On reste médusé et totalement séduit par un tel moment de corps à corps entre musique et danse. 

Élise Ternat


Rumeur, du collectif Loge 22

www.loge22.com

Conception, avec : Marie Goudot, Michaël Pomero, Julien Monty

Musiciens en direct : Chrissy Dimitriou, Jeroen Robbrecht, Lode Vercampt

Régie générale : Lise Poyol

Régie et manipulation vidéo : Matthieu Tercieux

Sur une musique de Kalevi Aho, Solo III for Flute ; 7 Inventions and Postlude : Cello Solo Quaternote 56 ; Viola Concerto, Viola Cadenza

Inspiration : les Métamorphoses d’Ovide

Production : Loge 22

Photo Rumeur : © Romain Étienne / Collectif Item

Hunted, de Maud Le Pladec et Okwui Okpokwasili

Conception : Maud Le Pladec, Okwui Okpokwasili

Textes, chansons et interprétation : Okwui Okpokwasili

Lumière : Nicolas Marc

Costume : Alexandra Bertaut

Répétition voix : Dalila Khatir

Musiciens en direct : Jean-Étienne Sotty, Fanny Vincens

Sur une musique de Kalevi Aho, Accordion Sonata nº 2, Black Birds, II Birds of the Night, I Birds of Light, V Black Birds, Birds of Desolation, arrangés pour deux accordéons par Jean‑Étienne Sotty, Fanny Vincens

Production : Léda

Photo Hunted : © Romain Étienne / Collectif Item

Les spectacles Rumeur et Hunted ont été présentés dans le cadre du festival Aire de jeu

Les Subsistances • 8 bis, quai Saint-Vincent • 69001 Lyon

Réservations : 04 78 39 10 02

Site du théâtre : www.les-subs.com

Du 27 au 31 janvier 2015

Durée : 1 heure et 50 minutes

8 €

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