« Sandre », de Solenn Denis, La Manufacture, Avignon

« Sandre », de Solenn Denis © Pierre Planchenault

Au berceau de la noirceur

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

Solenn Denis place les faits divers au cœur de son travail. À l’inverse du temps médiatique, le temps du théâtre permet d’ouvrir des fenêtres de réflexion inattendues sur ces actes hors normes.

Après SStockholm, qui s’inspirait de l’histoire de Natasha Kampusch, l’auteure contemporaine Solenn Denis transpose de nouveau un fait divers au théâtre avec Sandre, monologue pour un homme qui s’intéresse cette fois à une mère infanticide. Le projet d’écriture porte une ambition : aller au-delà des gros titres et des réactions outrées afin de décortiquer l’acte monstrueux, l’analyser. Bref, tenter de comprendre en laissant l’affect de côté.

Pour ce faire, la mise à distance est nécessaire, d’où le choix de destiner l’interprétation du texte à un comédien. Les spectateurs sont ainsi moins susceptibles de se laisser aller aux hypothèses psychologisantes : la comédienne est-elle mère ? Quel rapport entretient-elle à la maternité ? Ce parti-pris nous invite à adopter un positionnement neutre, propice à la réflexion. En l’occurrence, l’auteure a choisi de confier l’interprétation à son binôme à la tête du collectif Denisyak : Erwan Daouphars.

Une mise en scène radicale

Le comédien est le passeur complice du texte de Solenn Denis. Prosaïques, drôles, déchirants, les mots de la mère infanticide nous touchent et nous poussent, non pas à cautionner l’acte, mais, tout du moins, à assumer l’empathie qui nous gagne en écoutant le déroulé des faits. Le spectateur devient le confident des désillusions successives du personnage : la beauté fanée, le mari parti voir ailleurs et cet enfant non désiré, ignoré, comme le rebut d’un amour déjà mort dont il faut se débarrasser. La criminelle domestique se met à nue et va jusqu’à démonter le seul argument qui aurait pu la tirer d’affaire : « Ce qui est certain c’est que je ne voulais pas faire de la peine aux gens. Mais j’ai tué quelqu’un. Une fois, j’ai tué quelqu’un, même si je ne suis pas folle. » Si la folie ne justifie rien, il va donc falloir s’atteler à écouter, sans a priori, pour tenter de comprendre la frontière poreuse entre l’humain et le monstre.

La mise en scène pensée par le collectif Denisyak crée les conditions d’une écoute active du spectateur. Aucun élément ne vient parasiter la parole : le comédien est assis dans un fauteuil placé sur un îlot surélevé, avec un abat-jour élimé comme unique source de lumière. Les pics de fer placés sous le fauteuil tranchent avec la neutralité du décor et nous rappellent la violence latente, la colère sourde, masquée sous le flot de paroles. Erwan Daouphars sert également l’ambition réflexive du texte en le restituant sans fioritures. Le comédien parvient à éviter l’écueil de l’interprétation outrancièrement féminine. Pas de surenchère pathétique non plus, notamment grâce à un subtil maniement des ruptures qui introduisent des touches d’humour bienvenues.

Ces respirations ménagées dans le texte nous révèlent la part d’humanité de la mère infanticide. Car Solenn Denis nous rappelle que ce sont bien des êtres humains qui commettent des actes monstrueux. Au spectateur de choisir si rien de ce qui est humain ne lui est étranger. 

Bénédicte Fantin


Sandre, de Solenn Denis

Le texte est publié aux éditions Lansman

Mise en scène : Collectif Denisyak

Avec : Erwan Daouphars

Scénographie : Philippe Casaban, Éric Charbeau

Création lumières : Yannick Anché

Création costumes : Muriel Leriche

Construction du décor : Nicolas Brun

Régisseur plateau : Jean-Luc Petit

Durée : 1 h 25

Photo : © Pierre Planchenault

La Manufacture • 2 rue des écoles • 84000 Avignon

Dans le cadre du Off d’Avignon

Du 6 au 26 juillet 2017 à 13 h 45, relâche le 12 et 19 juillet

De 13,50 € à 19,50 €

Réservations : 04 90 85 12 71

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