« Sombre rivière », de Lazare, Cie Vita Nova, MC2 à Grenoble

Sombre-rivière-Lazare

Lazare disjoncte

Par Juliette Nadal
Les Trois Coups

Sur le plateau de « Sombre Rivière », Lazare, auteur et metteur en scène, orchestre ce qu’il nomme les « explosions d’un cerveau », au lendemain des attentats de novembre 2015. Un spectacle déroutant.

« T’es né en France mais t’es un arabe », affirme la mère de Lazare. Personnellement marqué par les blessures de l’histoire coloniale française, notamment par les massacres de Sétif et Guelma en 1945 qui ont touché sa famille, à la fois français et arabe, Lazare se retrouve dans un chaos intérieur violent après les attentats. Il appelle sa mère et son ami Claude Régy, tous deux au fondement de son identité d’homme et d’artiste. Ces deux conversations téléphoniques servent de matériau de base à un spectacle qui tente de rassembler les éclats d’un homme pulvérisé et de traverser cette sombre rivière.

Le spectateur est embarqué dans une traversée furieuse : une caméra mobile s’engouffre dans les coulisses et filme en direct, s’arrêtant longuement sur un masque de la Mort. Puis, apparaît sur le plateau un comédien endossant le rôle de Lazare lui-même. Recouvert de fils, de sparadrap, la casquette désaxée, en caleçon, des pages de poèmes à la main, voici l’image scénique d’un Lazare complètement désorienté par le séisme des attentats, en plein naufrage existentiel.

« La poésie, c’est discordant, c’est magnifique »

À la manière d’un cabaret, avec une musique jouée en direct, dans des costumes à paillettes ou des accoutrements délirants, les comédiens enchaînent numéros de chant, sketchs, monologues, scènes filmées, chorégraphies, dans un désordre effréné. Des numéros qui donnent à voir et entendre les voix, les cauchemars, les hallucinations qui agitent Lazare, lui-même démultiplié sur scène au cœur du spectacle.

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« Sombre rivière » de Lazare © Jean-Louis Fernandez

Trois comédiens, vêtus à l’identique, l’incarnent en même temps, donnant une image d’un homme éclaté en qui s’agitent une foule de questions, de souvenirs, où se croisent les figures de Sarah Kane, de Claude Régy, de David Bowie, où s’animent les personnages de fiction qu’il a créés, comme Libellule et les spectres de l’histoire, comme le Maréchal Bugeaud (qui joua un rôle décisif dans la colonisation de l’Algérie au XIXe siècle).

En tourbillon, les échos d’une culture populaire ou d’une poésie brute. Cet ensemble bigarré, qui mêle les tons, les registres, les codes et les langages est mené avec une grande énergie par les comédiens chanteurs. Mais à quoi s’accrocher dans ce flot où tout se bouscule sans cesse ?

Agité, secoué, par le rythme débridé des séquences de jeu ou de chant, halluciné par la multiplicité des propositions, le public entre dans le même état que Lazare, dont le leitmotiv « Sans alcool, je tiendrai pas » scande une bonne partie du spectacle. Un peu saoul, lui aussi, il perçoit tout de même la force vitale qui entraîne le jeu, les éclats de poésie qui émergent du marécage, la beauté de certains chants (en particulier ceux de Ludmilla Dabo). Et au terme de cette traversée douloureuse, sur une embarcation faite de bric et de broc, belle et salvatrice comme le théâtre, le spectateur, attiré par la lumière, réussit à parvenir sur l’autre rive de cette Sombre Rivière

Juliette Nadal


Sombre Rivière, de Lazare

Le texte est édité chez Les Solitaires Intempestifs

MC2 Maison de la Culture à  Grenoble

Texte et mise en scène : Lazare

Avec : Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Ludmilla Dabo, Julie Héga, Louis Jeffroy, Olivier Leite, Mourad Musset, Veronika Soboljevski, Julien Villa

Durée : 1 h 50

À partir de 15 ans

Teaser vidéo

Tournée

Théâtre du Rond Point • 2 bis, avenue Franklin-Roosevelt • 75008 Paris

Du 28 novembre au 30 décembre 2018, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15 heures, relâche les lundis, le 4 et le 25 décembre

Réservations : 01 44 95 98 21

De 12 € à 38 €


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Au pied du mur sans porte, de Lazare, par Laura Plas

☛ Petits contes d’amour et d’obscurité, de Lazare, par Aurore Krol

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