Mélodies du bonheur
Par Johana Boudoux
Les Trois Coups
Depuis sa naissance en 1983 au cœur de la mythique rue des Lombards à Paris, le Baiser salé a su s’imposer comme l’un des hauts lieux du jazz de la capitale. À l’origine de cette solide réputation, Marie Rodriguez, la programmatrice des lieux. Consciente que le jazz est né du métissage, et néanmoins intransigeante sur la qualité de sa programmation, c’est avec passion qu’elle organise depuis vingt‑cinq ans des rencontres audacieuses entre « pointures » et jeunes musiciens au talent prometteur, offrant à ces derniers un tremplin non négligeable et contribuant ainsi à faire du Baiser salé un lieu unique qui dépasse le cadre du club de jazz traditionnel.
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la rencontre entre Sylvain Luc et Stéphane Belmondo se soit déroulée à son initiative quelques années plus tôt, donnant lieu à une formation surprenante, concrétisée par la sortie du superbe album Ameskeri en 1998. C’est face à une salle comble et comblée que le duo s’est de nouveau réuni mercredi en deuxième partie de soirée, le temps de deux sets magiques, rendant ainsi au Baiser salé un hommage mérité.
Vingt et une heures. Dans la salle du Baiser salé, l’attente est palpable. Tandis que certains meublent le silence ambiant en parlant de jazz, d’autres, convoitant les tables vacantes mais réservées, tentent de négocier avec le serveur pour se rapprocher de la scène d’une rangée. L’engouement pour ces deux grands noms du jazz est justifié. Stéphane Belmondo, désigné dès ses débuts par Chet Baker comme « le trompettiste le plus prometteur de sa génération », a amplement dépassé les espoirs que le maître du jazz avait placés en lui en s’imposant rapidement sur la scène internationale comme trompettiste certes, mais aussi bugliste et batteur.
Fort d’une renommée similaire, Sylvain Luc a pour sa part acquis un statut de légende vivante par sa connaissance réelle de la musique et de la guitare en particulier, ce dont peu de musiciens peuvent encore se vanter. Selon un dicton espagnol, « pour maîtriser la guitare, il faut dix ans par corde ». Il en aura fallu moins à Sylvain Luc, qui a néanmoins retenu la leçon prodiguée par ce proverbe puisque, maîtrisant son instrument à la perfection, il en exploite toutes les possibilités, guidé par sa seule émotion.
Car, au-delà de la virtuosité, qui n’est en définitive que technique et travail, c’est une grande sensibilité que partagent ces deux musiciens très complices. Du génie ? Bien plus, de l’amour. Dès le premier morceau, présenté avec humour par Stéphane Belmondo comme étant une composition de Johnny Hallyday, les notes retentissent parfaitement justes, rondes, profondes, vécues. Les cordes, tantôt durement plaquées, tantôt caressées, effleurées avec une dextérité époustouflante, tracent la trame d’un récit conté au bugle par Stéphane Belmondo, qui semble livrer toute son âme à chacun de ses souffles. Allergiques aux partitions, les deux musiciens improvisent, s’appuyant parfois sur le thème d’un standard du jazz, d’une chanson d’Édith Piaf, d’une musique de film ou d’une comptine pour enfant tels le Loup, la Biche et le Chevalier d’Henri Salvador, chacun répondant attentivement aux propositions de l’autre. Lorsque sonnent les deux heures du matin, mettant ainsi fin à une profonde rêverie (ameskeri en langue basque), c’est songeur, charmé et ému que le public se dirige vers la sortie. ¶
Johana Boudoux
Stéphane Belmondo et Sylvain Luc, 25e anniversaire du Baiser salé
Avec : Stéphane Belmondo (bugle), Sylvain Luc (guitare, basse)
Le Baiser salé • 58, rue des Lombards • 75001 Paris
Réservations : 01 42 33 37 71
Mercredi 26 novembre 2008 à 22 heures
Durée : 4 heures
20 € | 18 € | 15 €