La fête des voisins n’aura pas lieu
Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups
La Cie La Licorne présente une création réjouissante de noirceur dans laquelle toute la poésie du théâtre d’objets se met au service de l’esthétique du monstrueux.
Ici, tout est gris. Le mur dénudé de l’arrière-plan, les structures métalliques qui suggèrent les limites de l’appartement, le bric-à‑brac d’outils amoncelés… jusqu’au corps de Suzanne, unique habitante de cet insalubre rez-de‑chaussée gauche. Un monochrome à l’image de sa vie triste et recluse, faite de routines obsessionnelles et de monologues haineux à l’encontre de ses voisins d’immeuble. Bien décidée à se débarrasser de tous ces nuisibles qui entravent son désir de solitude absolue, Suzanne élabore des stratégies d’expulsion à la chaîne.
L’actrice Rita Tchenko réussit à créer une figure à la fois comique et effrayante. L’interprète ne lésine pas sur l’engagement physique, un ingrédient essentiel dans cette mise en scène ultra-chorégraphiée où la gestuelle prend le pas sur la parole. Voûtée, les genoux fléchis en permanence, peinturlurée de gris, Suzanne ressemble à un animal tapi dans l’ombre. Le personnage éprouve pourtant aussi peu de compassion pour les bêtes que pour les humains. Quand le besoin la démange de se défouler, Suzanne élimine chats, gerbilles et oiseaux domestiques qui ont le malheur d’explorer l’immeuble.
Plus on en sait sur cette femme, plus son apparence prétendument distinguée offre un criant contrepoint comique. En effet, la robe rose, les faux ongles et les escarpins rouges contrastent avec l’horreur des propos de Suzanne et la sauvagerie de ses actes. Confident de la folie du personnage, le public est aussi spectateur de sa duplicité lorsqu’il s’agit de faire bonne figure devant le commissaire ou de feindre l’attristement en apprenant le départ de ses voisins. Qu’on éprouve du dégoût, du soulagement (de ne pas être comme elle), de l’empathie, que cela fasse écho à notre propre part de monstruosité, la performance de Rita Tchenko ne nous laisse pas indifférents.
Claire Dancoisne compose un tableau vivant qui renferme tout un univers. En mêlant la musique, le corps, le décor et le texte, la metteuse en scène nous plonge dans la folie de Suzanne. Les objets sont aussi importants que l’écrit pour traduire les obsessions de Suzanne. Après utilisation, elle remet chaque élément à sa place en respectant la même cadence, dans un rituel qui confine au pathologique. Le fondement le plus emblématique de sa cruauté étant la maquette de l’immeuble qu’elle a recréé pour laisser libre cours à ses stratégies macabres. Les objets ne dupliquent en rien le texte dans cette mise en scène. Ils enrichissent le propos en apportant une foule de suggestions sur la psychologie du personnage.
Sweet Home fait partie des Petits polars de La Licorne, tout comme Macbêtes également à l’affiche du Mouffetard. Cet ensemble de pièces qui mêlent les codes du polar et du théâtre d’objets offre un bel aperçu de l’inventivité de la compagnie La Licorne. ¶
Bénédicte Fantin
Sweet Home, sans états d’âme, d’Arthur Lefebvre
Mise en scène : Claire Dancoisne
Avec : Rita Tchenko
Création musicale : Maxime Vandevelde
Création des objets : Maarten Janssens, Olivier Sion
Construction décors : Alex Hermann
Peintures : Chicken / Création de la toile de fond : Detlef Runge
Création costumes : Anne Bothuon
Régie : Brice Noguès
Photos : © Pascal Gely et Théâtre La Licorne
Le Mouffetard • 73, rue Mouffetard • 75005 Paris
Réservations : 01 84 79 44 44
Site du théâtre : www.lemouffetard.com
Métro : Place‑Monge, Cardinal‑Lemoine
Du 21 février au 5 mars 2017, du mardi au vendredi à 20 heures, samedi à 19 heures, dimanche à 17 heures
Durée : 55 minutes
18 € | 14 € | 12 €