Un dernier rire avant de partir ?
Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups
Chantal Melior redonne vie à deux comédies méconnues de W. Shakespeare : « Tout est bien qui finit bien » et « les Deux Gentilshommes de Vérone » en son antre tapi au beau milieu de la gare d’Asnières. Certes, c’étaient les premières, mais soit les deux pièces ne se valent pas, soit c’est l’interprétation. En tout cas, l’une déçoit nettement par rapport à l’autre. Saluons tout de même le cran de cette troupe qui, bientôt peut-être à la rue, maintient ses quatre Shakespeare. Une leçon d’optimisme et de courage.
Coup de rouge au bar, dînettes aux tables dressées dans le foyer, bienvenue dans le bric-à‑brac un rien spartiate du Théâtre du Voyageur. La salle, spacieuse, est à côté. On vous remet une couverture pour les jambes, le hangar n’étant pas chauffé. Ceci n’est pas sans rappeler les débuts héroïques de la Cartoucherie. Que la S.N.C.F. n’est‑elle la Mairie de Paris, pourtant alors chiraquienne ! Répétons‑le, la première soirée est moins réussie que la seconde. Commençons par elle.
Tout est bien qui finit bien conte la fable, féministe avant l’heure, d’une jeune roturière gagnant, par ses seuls mérites, l’amour du jeune crétin noble que le roi lui a donné pour époux. La belle ayant sauvé ledit monarque. Ulcéré, Bertrand de Roussillon part à la guerre, sans même consommer son mariage, flanqué du fanfaron Parolles (sic !), qu’il croit brave. Sa femme sur le papier, Héléna, le suit, déguisée, puis use d’un stratagème pour s’unir à lui. Une guerre, quelques gags et une grossesse plus tard, les deux ennemis finissent dans les bras l’un de l’autre.
La pièce a, de tout temps, cassé la tête à ses metteurs en scène et, hélas, les pieds à ses spectateurs. Le Théâtre 14 en avait proposé la saison dernière une version raccourcie, un peu B.D. mais efficace et mieux traduite, avec un Romain Bouteille impérial dans le rôle du bouffon. Ici déjà, l’adaptation ne nous fait grâce d’aucune réplique. Elle est en outre réécrite, par on ne sait quel pédant du Danube, en un ronflant charabia qui fait durer la plaisanterie plus de deux heures et demie. Une épreuve. Les échanges de gracieusetés entre le vieux courtisan (Joanne Allan) et Parolles (François Louis) tombent à plat, son faux interrogatoire, qui annonce celui du Malvolio de la Nuit des rois, est interminable. Un puissant ronflement résonne dans mon dos.
Plus verbeux que profond
Un tandem, à l’inverse, qui marche bien et gagne les cœurs, c’est celui formé par la comtesse (Sandrine Baumajs) et son clown (Mathieu Mottet). Leur duo a quelque chose non seulement de drôle, mais encore de très vrai. Cette comtesse est la sœur de la Pauline du Conte d’hiver, de Mme Coriolan mère, et de quelques autres matrones chères à l’auteur. Sandrine Baumajs lui donne une formidable humanité. Dans le rôle de sa fille adoptive, Ariane Lacquement n’est pas en reste. Elle n’arrive pourtant pas à sauver la pièce de l’ennui. Sa lutte contre les préjugés, la guerre, le machisme, restant au niveau des intentions d’un grand Will, de toute façon plus verbeux que profond, mais là en plus si mal trahi ! Euh… traduit, je veux dire.
Les diversions chorégraphiées sont d’autant plus les bienvenues. Notamment celles des prétendants, jouant le défilé de mode, puis des conjurés figés en buisson humain, puis de cette course au ralenti des filles vers la vérité. Les gars restent les grands perdants de ce jeu de massacre, voulu tant par l’auteur que par la mise en scène. Des vieilles ganaches ou de jeunes snobs, dont cette tête à claques de Bertrand joué on ne peut mieux par Tom Sandrin. Il est secondé par Lilas Nagoya et Véronique Blasek, elles aussi parfaitement odieuses. Pardon, odieux, puisque toutes deux jouent ses copains de régiment.
Quand ce n’est pas le cas, mam’zelle Blasek nous fait un troublant numéro de séduction dans sa Diana-Shéhérazade. Sensualité, malice, tout y est. Mais là encore, quelle idée que cette ceinture, d’une grande laideur, qui la boudine ! Les personnages semblent d’ailleurs s’être tous habillés au petit bonheur la chance, à l’exception notable de la comtesse, du vieux courtisan et du clown, eux mieux aidés.
Ce qui nous amène à parler du second spectacle où, là, nos chiffonniers ont eu la main plus heureuse. L’adaptatrice aussi, qui a hardiment débarrassé les Deux Gentilshommes de Vérone d’un tas d’invraisemblances, dont ses brigands d’opérette. Le texte, lui même, se fait plus léger. On respire.
Reste un œuvre bizarre, mais qui sourit, et fait sourire, de cette jeunesse aussi prompte à faire des serments qu’à les rompre. C’est aussi l’acte de naissance de deux figures essentielles du théâtre élisabéthain : le travesti et le bouffon. Pour ce qui est du premier, rappelons que, les garçons faisant alors les filles, ce fameux travestissement offrait à l’acteur de vertigineuses possibilités. C’est Lilas Nagoya qui incarne ici cette esquisse de la Viola de la Nuit des rois, sans trop de nuances pour l’instant. Pour ce qui est du second, Sandrine Baumajs trouve en Lance un rôle à la mesure de son talent comique. [Voir ce qu’elle faisait déjà, l’an passé, de la Folie.] Une grande.
Un irrésistible cabot en peluche
Ajoutons qu’elle traîne avec elle un irrésistible cabot en peluche, qu’elle fait gronder et aboyer tout au long de sa géniale, le mot est lâché, prestation. L’autre bonne surprise vient des « jeunes ». Ariane Lacquement s’est fait cette fois la tronche du Jean‑Louis Barrault de Drôle de drame. Elle manque encore un peu de cynisme, mais on sent que ça viendra. Ce Protée double (rien que le nom !) n’annonce-t-il pas Edmond, Iago, Richard III ? Le diable, c’est l’acteur. Quant à sa victime, et rival, Tom Sandrin lui prête ses airs de benêt béat. C’est pile ce qu’il fallait pour donner consistance à ce Valentin improbable, si crédule qu’à la fin on l’aime. Une sorte de Grégory Peck du râteau médiéval.
Pour le faire tourner en bourrique, rien de tel que Sylvia à qui Joanne Allan prête sa rouerie blasée. Tout comme Protée mortifie sa Julia déguisée sans l’avoir reconnue, elle s’est dessiné une moustache. Une guerre des sexes digne du Songe, qui a inspiré Chantal Melior. Échanges de rôles, travellings, gros plans, lettres qu’on déchire puis qu’on rafistole, comme on voudrait le faire des cœurs, courses-poursuites des valets, rondes et détours des maîtres, le tout sur des airs baroques, jusqu’à la scène de presque-viol qui, par un tour de passe-passe proprement roublard, se mue en happy end sous nos yeux ébaubis.
Bref, deux pièces inégales, plus tordues que tordantes, mais instructives à plus d’un titre. Trente‑neuf en tout exactement, le nombre des pièces de Shakespeare, dont on s’amuse à retrouver les traces au fil de ces péripéties innombrables. Un véritable jeu de pistes. D’un point de vue moins futile, on assiste aussi à un joli travail de troupe, à laquelle on souhaite de garder son lieu. Le feu, c’est déjà le cas. ¶
Olivier Pansieri
Tout est bien qui finit bien, de William Shakespeare
Adaptation et mise en scène : Chantal Melior
Avec : Joanne Allan, Sandrine Baumajs, Véronique Blasek, Sophie Bonnet, Ariane Lacquement, François Louis, Mathieu Mottet, Siva Nagapattinam Kasi, Lilas Nagoya, Tom Sandrin
Lumière : Michel Chauvot
Décor : Marine Porque
Photos : © Bernard Quérard
Durée : 2 h 30
Le 29 février 2012, les 2, 4, 8, 10, 14, 16, 18, 22, 24, 28, 30 mars 2012, et les 1er, 5, 7 et 8 avril 2012 à 20 h 30, le dimanche à 17 heures, intégrale le dimanche 8 avril 2012
les Deux Gentilshommes de Vérone, de William Shakespeare
Adaptation et mise en scène : Chantal Melior
Avec : Joanne Allan, Sandrine Baumajs, Véronique Blasek, Sophie Bonnet, Ariane Lacquement, Mathieu Mottet, Siva Nagapattinam Kasi, Lilas Nagoya, Tom Sandrin
Lumière : Michel Chauvot
Décor : Marine Porque
Photos : © Bernard Quérard
Durée : 1 h 50
Théâtre du Voyageur • gare S.N.C.F. d’Asnières, quai B • 92600 Asnières‑sur‑Seine
Réservations : 01 45 35 87 37
Les 1er, 3, 7, 9, 11, 15, 17, 21, 23, 25, 29, 31 mars 2012, et les 4, 6 et 8 avril 2012, le dimanche à 17 heures, intégrale le dimanche 8 avril 2012
22 € | 14 € | 11 €