Le chaos comme partition originale
Par Laura Plas
Les Trois Coups
Avec « Trust – Karaoké panoramique », Maëlle Dequiedt et la compagnie La Phenomena proposent une adaptation à la fois pertinente et personnelle de la pièce de Falk Richter, « Trust ». Une réussite. Et la preuve, s’il en fallait, qu’il ne suffit pas de suivre bêtement un texte, comme au karaoké, pour en déployer le sens.
Précis de décomposition du couple sous l’effet délétère du capitalisme, Trust, qui date de 2007, n’a pas pris une ride. La crise n’est pas un souvenir, la finance n’a pas rendu gorge et la question que pose l’un des personnages : « La résistance est-elle possible et si oui, comment ? », reste ouverte. Mais l’actualité de l’œuvre ne tient pas qu’à son propos, elle est surtout liée à sa poétique : composée de fragments, mettant en scène des figures assez abstraites, la pièce offre, en effet, une vraie liberté. C’est ce qu’a bien compris Maëlle Dequiedt, laquelle n’hésite pas à s’émanciper de la lettre du texte pour mieux en saisir le sens.
Ainsi, le spectacle se concentre-t-il sur le dernier tiers de la pièce. Il évacue partiellement la thématique du couple pour poser la question du rapport d’une génération à l’argent et au monde capitaliste. Le choix est d’autant plus pertinent que Maëlle Dequiedt appartient, comme ses six jeunes comédiens, à la classe d’âge qu’elle dépeint, si bien qu’on sent comme un effet de miroir entre interprètes et personnages. Les problèmes de Pauline, qui veut composer en toute indépendance mais a besoin d’argent, ceux de Romain, dont le réseau composé d’artistes au chômage n’est pas assez valorisant, ne pourraient-ils pas être ceux des acteurs ? Le brouillage est d’ailleurs accentué par le fait que les interprètes prêtent leurs noms, et même leurs mots, aux personnages.
Karaoké K.O.
Mais le texte de Falk Richter n’est pas seulement nourri de leurs improvisations. Il entre aussi en écho avec la réflexion de Tchekhov, comme il s’oppose aux discours évidés de sens de Donald Trump ou d’Emmanuel Macron, présentés sous forme de karaokés. La metteuse en scène, qui aime travailler le matériau musical, thématise ce motif secondaire chez Falk Richter. Chez elle, le karaoké apparaît, en effet, comme l’annihilation des mots auxquels il faut redonner sens. De fait, ce n’est peut-être pas un hasard si, dans un troublant moment où la fiction théâtrale semble laisser place à la réalité, Mathilde Mennetrier explique son amour du théâtre par la joie de faire entendre les textes.
Cette rage de dire est à l’œuvre chez l’ensemble des comédiens qui portent la proposition avec conviction. Leur engagement est à la mesure de l’intelligence de la mise en scène, et l’on se réjouit qu’existent les écoles publiques de théâtre et des dispositifs de soutien aux compagnies émergentes, comme Cluster. On entendra parler de la compagnie La Phenomena dans les années à venir, mais il serait idiot d’attendre ! ¶
Laura Plas
Trust – Karaoké panoramique, d’après Falk Richter
Traduction d’Anne Monfort
Le texte est édité chez l’Arche Éditeur
Mise en scène : Maëlle Dequiedt
Avec : Youssouf Abi-Ayad, Quentin Barbosa, Romain Darrieu (en alternance avec Romain Pageard), Pauline Haudepin, Mathilde Mennetrier, Romain Pageard, Maud Pougeoise
Durée : 1 h 25
À partir de 15 ans
Photo : © Jean-Louis Fernandez
Théâtre de la Cité internationale • 17, boulevard Jourdan • 75014 Paris
Dans le cadre du dispositif Cluster
Du 8 au 22 décembre 2017, lundi, mardi, vendredi et mercredi 20 décembre à 20 heures, jeudi et samedi à 19 heures, relâche le mercredi et le dimanche 13 décembre
De 7 € à 19 €
Réservations : 01 43 13 50 60
À découvrir sur Les Trois Coups :
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