« Un État de nos vies », Lola Lafon, Théâtre du Rond-Point, Paris

Un-Etat-de-Nos-vies-Christophe-Raynaud-De-Lage

Plume plus que masque

Par Laura Plas
Les Trois Coups

« Un État de nos vies » s’offre comme un partage : aux néophytes, le spectacle fait découvrir une écrivaine passionnante, aux lecteur·ice·s fidèles, il offre le plaisir de la reconnaissance. Une petite forme plus littéraire que spectaculaire : la plume plus que le masque.

Quelques temps avant la représentation, au bar du théâtre, deux femmes conversent sur le spectacle qu’elles vont voir : Un État de nos vies. Celle qui a entraîné (invité ?) son amie au théâtre présente Lola Lafon. On saisit quelques mots au vol : « danse », « féminisme », « autrice », « roman ».

Et ce sont précisément des mots jetés en inventaires qu’entrés en salle on découvre. Lola Lafon, en costume d’élève sage, fait face à un homme attablé au bout d’une très longue table et qui l’interroge en effet sur des mots piochés. Pour un peu, on se croirait à un examen, d’autant que le dispositif a quelque chose d’aride. On est d’abord quelque peu étonnée : connaissant la force et la pertinence de la parole féministe de l’autrice, d’où vient qu’elle ait adopté cette forme où on semble lui imposer sa danse ?

Un abécédaire sans (mâles) alpha ni bêtas

Mais très vite, l’écolière élude et, de manière générale, se met à jouer sur les mots : étymologie, pas de côté, sens propres et sens figurés. Par exemple, elle représente le mot « révérence » (seul moment dansé de cette danseuse), mais cultive son irrévérence en s’autorisant à piocher à sa guise dans un grand cahier débordant de post-it colorés. Ma voisine de gradin se penche en avant comme pour mieux saisir au vol des bribes de cette pensée vive et si bien formulée. On sent dans la salle la qualité de silence que crée la découverte d’une plume.

Aussi court qu’un carton d’invitation, le spectacle promet aux néophytes des heures de lecture passionnantes. Aux autres, il reste le plaisir de voir se recomposer le puzzle qui forme une œuvre. « Ah, mais ça, je m’en souviens. Où l’ai-je lu ? Ah ! Oui, dans L’Epée, le loup et les étoiles ! Et ces mots ? Serait-ce dans Chavirer ? Mercy Mary Patty ? Nous Sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce ? Lola Lafon affirme que le spectacle est truffé d’inédits, on la croit évidemment. Cependant, chaque artiste propose des motifs qui reviennent obstinément. C’est la beauté des paillettes, ces résidus magnifiés qu’aime tant Lola Lafon.

Elle, elles, nous

Quoi qu’il en soit, ce spectacle, bien qu’assumé à la première personne, parvient paradoxalement à nous proposer un état de nos vies, à saisir l’air de notre temps : capitalisme, âgisme, expression sélective de l’empathie, machisme ordinaire. Si le dialogue entre les deux interprètes est faussé, par contre, l’autrice ne cesse d’inviter dans son abécédaire d’autres artistes, telle Joyce Caroll Oates ou Dominique A (en un beau final chanté) ; d’en évoquer d’autres comme Marlen Aushofer et son mur invisible. Une bibliothèque dans une heure de spectacle.

Pourtant, le spectacle est resserré. Il parachève le geste qu’a l’autrice de conjuguer ses longs romans avec des formes brèves : les articles de Libération, les réflexions rassemblées dans le beau recueil intitulé Le Loup, l’épée et les étoiles »..

Si la mise en scène d’Emmanuel Noblet ne s’impose pas, si on n’est pas toujours convaincue par les déplacements, les musiques de soulignement, le spectacle nous fait, en tout cas, le cadeau des corps, des voix, bref de la présence. Un État de nos vies ne retiendrait-il paradoxalement du spectacle ce qui est le moins spectaculaire ? 🔴

Laura Plas


Un État de nos vies, de Lola Lafon

Conception : Lola Lafon
Avec : Lola Lafon et Olivier Lambert
Composition : Olivier Lambert
Collaboration artistique et lumière : Emmanuel Noblet
Durée : 1 heure
Dès 14 ans

Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt • 75008 Paris
Du 21 au 31 mai 2024 (relâche le lundi), du mardi au vendredi à 20 heures, le samedi à 19 heures et le dimanche à 15 h 30
De 8 € à 31 €
Réservations : 01 44 95 98 21 ou en ligne

Tournée :
• Du 25 au 29 septembre, reprise au Théâtre du Rond-Point, à Paris
• Du 1er au 3 octobre, Théâtre-Sénart scène nationale, à Sénart
• Le 5 octobre, La Ferme du Buisson scène nationale, à Noisiel
• Le 5 novembre, TDG, à Grasse
• Les 7 et 8 novembre, Les Théâtres, à Aix-en-Provence
• Le 14 novembre, à Cenon
• Le 21 novembre, Les Bords de Scène, à Athis-Mons
• Les 25 et 27 novembre, Comédie de Caen Cdn de Normandie
• Les 5 et 6 décembre, TSQY scène nationale, à Saint-Quentin-en-Yvelines
• Les 12 et 13 décembre, TdB Théâtre du Beauvaisis scène nationale, à Beauvais
• Le 19 décembre, Les 3T scène conventionnée de Châtellerault

À découvrir sur Les Trois Coups :
Réparer les vivants, d’Emmanuel Noblet, Théâtre des Sablons, Neuilly-sur-Seine, par Léna Martinelli

Photos © Christophe Raynaud de Lage

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