Sport et sexualité
Par Alicia Dorey
Les Trois Coups
Entre chorégraphies millimétrées et improvisations, Alfonso Barón et Luciano Rosso se livrent un combat de coqs absolument jouissif sur une scène transformée en vestiaire.
Décidément, le Théâtre du Rond-Point n’en finit pas de nous étonner. Avec ce spectacle inclassable et expérimental tout droit venu d’Argentine, il démontre une nouvelle fois que l’on peut faire preuve d’audace sans transiger sur la qualité. Ce qui est frappant, c’est la proximité qui se crée immédiatement entre les deux performeurs et le public : nous entrons dans la salle, et la représentation a déjà commencé. Deux hommes en tenue de sport sont en train de s’échauffer. Ils s’étirent et tentent quelques acrobaties, dans la semi-pénombre et la moiteur de que l’on devine être le vestiaire d’une salle de sport. Lorsque les lumières s’allument, ils nous font face, l’air impassible et le torse bombé. Sans un bruit, chacun va toiser l’autre, l’étudier, le juger. On sent progressivement naître entre eux un certain désir, auquel viennent se mêler rivalité, violence et attraction.
Débute alors un ballet sadomasochiste désopilant, durant lequel ils vont tour à tour être dominant et dominé, singeant la gestuelle de deux coqs de basse-cour. Ce pourrait être ridicule, c’est néanmoins incroyablement cocasse. Ils se désirent et se détestent, se collent et s’écharpent. Leurs énergies libidinales sont toujours en décalé, si bien que lorsque l’un tente une approche, l’autre s’échappe, dans un sursaut de virilité feinte. Pendant une heure, presque pas un mot ne sortira de leur bouche, et pourtant la représentation est aussi éloquente qu’un manifeste antiphallocrate.
Sur un air radiophonique
Les regards et les corps se frôlent, s’entrechoquent, dans un silence parfois entrecoupé du son d’une petite radio négligemment posée sur des casiers. Celle-ci devient graduellement un élément central de leur danse nuptiale : flash d’information, pop, cantiques, reportage en milieu rural, tout y passe, et nos deux danseurs improvisent avec un naturel et un talent proches de la perfection. Car pour ne pas risquer de tomber dans le réchauffé, la radio est en direct. À eux de faire avec. Et ils le font très bien : Luciano Rosso est danseur, mais aussi acteur, chorégraphe et percussionniste. Son acolyte a travaillé avec les plus grands chorégraphes de la scène argentine contemporaine. La façon dont ils jouent avec leurs corps et les codes des disciplines dans lesquelles ils excellent est proprement sidérante. Leur maîtrise n’exclut en rien les effets de surprise. En témoigne un final absolument renversant, que l’on peut sans exagérer désigner comme un grand moment de théâtre. Le « teatro físico » du metteur en scène Hermes Gaido fait ici exploser tous les clichés sur le désir masculin. Après l’explosion, on peut explorer à travers les deux interprètes la profonde complexité des relations humaines, des plus fraternelles aux plus bestiales. Et cela nous enchante. ¶
Alicia Dorey
Un poyo rojo, de Hermes Gaido
Mise en scène : Hermes Gaido
Avec : Alfonso Barón et Luciano Rosso
Lumières : Hermes Gaido
Chorégraphie : Luciano Rosso et Nicolas Poggi
Agent artistique : Julien Barazer
Photos : © Alejandro Ferrer et Paola Evelina
Théâtre du Rond-Point • 2 bis, avenue Franklin‑D.‑Roosevelt • 75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
Site du théâtre : www.theatredurondpoint.fr
Métro : ligne 9, arrêt Franklin‑D.‑Roosevelt
Du 18 septembre au 18 octobre 2015, du mardi au dimanche à 18 h 30
Relâche les lundis
Durée : 1 heure
33 € | 30 € | 18 € | 14 €
En raison d’une grave blessure de l’interprète Luciano Rosso, survenue pendant le spectacle, les représentations d’Un pojo rojo qui devaient avoir lieu jusqu’au 18 octobre 2015 ainsi que la tournée jusqu’en décembre sont annulées.