L’acrobatie en Majesté
Par Florence Douroux
Les Trois Coups
C’est une immersion dans la beauté, un moment de pure grâce acrobatique. « What will have been » de la compagnie C!RCA vient provoquer l’engouement au théâtre des Lucioles. Standing ovation, évidemment.
On le sait, la compagnie australienne C!RCA galope dans le monde entier, sous la houlette de Yaron Lifschitz, son directeur artistique, qui revendique « une identité cimentée par le sport et une culture très physique du corps ». Une surenchère technique à la fois joyeuse et joueuse, à l’audace souvent affolante, qui ne laisse jamais la beauté ni l’émotion sur le trottoir d’en face. What will have been est de cette trempe. Trois acrobates, une femme et deux hommes, accompagnés d’un violoniste, un plateau nu, des lumières crues, une absence totale de fioritures : voici un spectacle ciselé qui nous attire vers son essentiel : le mouvement, sa symbolique, son expression.
Tout commence par la marche tranquille de ces trois-là qui ne se touchent pas, mais s’apprivoisent, ou tentent de le faire. Bref moment de non-rencontre, et d’impossible intimité. Les bras restent vides de l’autre car ils ne se trouvent pas. Cette absence de lien tient lieu de prologue. Envol aux sangles de la jeune femme, qui construit d’incroyables figures avant de s’immobiliser, en suspension, et de repartir de plus fort. Cette chorégraphie aérienne, profondément originale et sophistiquée n’est pas seulement virtuose : elle est habitée d’une réelle expression de mélancolie, renforcée par le chant du violon. La solitude, peut-être ? Pas pour longtemps. C’est dans les bras d’un des deux hommes qu’elle reprend contact, doucement, avec le sol. Magique.
Trio, triangle, trois
Voltigeurs, porteurs, danseurs, équilibristes, à deux, trois, deux, un, une. Trois. Deux. Un. Une. Trois : c’est la dramaturgie de ce formidable spectacle qui repose en effet sur l’entrelac et la complexité de ce chiffre dans la relation humaine. Et ce qu’il peut comporter d’union ou de distance, de rapprochements ou de séparations, d’effusions ou de heurts. Une toute petite humanité où atteindre l’autre est un exploit à renouveler sans cesse. Ainsi, bien loin d’une simple démonstration d’endurance poussée à l’extrême, What will have been réussit un autre tour de force : l’expression permanente du sentiment et de l’émotion à travers la difficile éclosion d’un trio.
Pas de place pour deux, quand on est trois : un duo à peine formé est aussitôt brisé par le troisième, bondissant et plongeant au-dessus de ces bras qui semblaient s’être trouvés. Formation et déformation perpétuelle. Sauts prodigieux, recherche de l’autre, emballement et jubilation. Le tourbillon de la vie. Si les bras en arrondi – merveilleuse posture jalonnant le spectacle – restent solitaires dans une courbure vide, apparemment inutile, certains tableaux, certaines figures attestent le contraire : la puissance d’un lien advenu. Le creux devient un plein. Ici, rien ne semble impossible, et c’est merveilleux : au sol, portant sur son dos les deux autres, l’un des acrobates se redresse et élève une colonne à trois. Image de verticalité absolue. Virtuose et tellement symbolique.
Tel est le spectacle, jusqu’au bout. Qu’il est beau de voir que le troisième n’est pas seulement jeteur de trouble. Il réunit pour reformer, inlassablement, ce lien humain, vital. Ainsi en va-t-il de la séquence inoubliable de l’équilibre sur cannes. Le solo prodigieux se transforme. Et nous envoûte. Sur la musique sacrée de Vivaldi, c’est encore un moment de verticalité, sublime et magnétique, qui se transforme en duo de portés acrobatiques sur cannes… Mais jusqu’où vont-ils aller ? Car voici le troisième.
Une longue ligne chorégraphique se dessine, d’une technicité éblouissante, mêlant violence et tendresse, humour et gravité. Fusionnel ou déchiré, attendri ou hostile, un lien se tisse et se défait mille fois. Musique, danse, acrobatie sont au service de cette histoire magistrale à trois, dans laquelle le temps a suspendu son vol. Les trois acrobates se jouent de toute difficulté technique, dans une partition chorégraphique millimétrée, d’une élégance infinie. Leur fatigue s’entend dans le souffle, se devine sans doute sur les visages, mais ne se voit pas dans l’effort. La maîtrise d’une telle concentration est bouleversante.
Endurants, jusqu’au bout. Une ultime colonne à trois se défait. Revenus au sol, posés, ensemble. Tels une sculpture idéale. Quel spectacle ! 🔴
Florence Douroux
What will have been, cie C!RCA
Site de la compagnie Circa
Mise en scène : Yaron Lifschitz
Avec : Kimberley O’Brien, Daniel O’Brien, Hamish McCourty et Sylvain Rabourdin
Directeur technique : Jason Organ
Création lumières : Jason Organ et Richard Clarke
Création costumes : Libby McDonnell
Durée : 1 h 15
Dès 7 ans
Théâtre des Lucioles • salle Mistral 10, rue du Rempart Saint-Lazare • 84000 Avignon
Du 7 au 30 juillet 2022 (relâche les mercredi 13, 20 et 27) à 20 h 05
De 12 € à 23 €
Réservations : 04 90 14 05 51 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 7 au 30 juillet 2022
Plus d’infos ici
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