« Zoom », de Gilles Granouillet, Théâtre de l’Aquarium à Paris

Zoom © J.-M. Lobbe

Linda Chaïb : époustouflante

Par Élise Noiraud
Les Trois Coups

C’est la première. Première pièce de la saison au Théâtre de l’Aquarium. Première représentation de cette même pièce. Première mise en scène de François Rancillac en tant que directeur du lieu, dont il a pris les rênes à la suite de Julie Brochen.

C’est ma première à moi aussi. Première en tant que spectatrice dans les murs du Théâtre de l’Aquarium. Tout heureuse à la perspective de cette surenchère dans la nouveauté, j’entre. De la pelouse verte de la Cartoucherie, je passe à la moquette rouge du hall puis atterris, enfin, entre les murs noirs de la salle. Et me laisse convaincre quasi instantanément par « Zoom ». Je suis happée, littéralement. C’était la première. La sienne, la leur, la mienne. Et, pour tous, sûrement pas la dernière.

Le public, toujours vaguement fébrile quand s’approche le moment fatidique d’entrée dans la salle, se masse près des portes. Le metteur en scène apparaît en haut d’un escalier et nous tranquillise malicieusement, connaissant la peur irrépressible du spectateur : le strapontin, ou, pire, les marches d’escaliers. Il nous annonce, donc, que nous allons entrer dans une réunion parents‑profs et que nous pourrons, par conséquent, pour la majorité d’entre nous, nous asseoir à des bureaux d’écolier installés pour l’occasion.

Et, effectivement, la salle qui s’offre à nous fait remonter des souvenirs. Le public qui s’assoit sur les chaises d’écolier devient, à son insu, partie prenante d’une image inévitable. Ce sont des parents. Ils attendent. Se parlent peu, car ne se connaissent pas. Ils regardent le bureau qui leur fait face, le tableau noir sur lequel, probablement, le prof de bio tant attendu notera les points majeurs concernant la classe de leurs enfants. La classe de Burt. Ou plutôt « du Burt » comme l’appelle sa mère. Car des autres adolescents, évidemment, on ne saura rien. L’image improvisée de cette foule de parents est suffisante pour créer leur existence, même fantomatique, même imaginaire. Leurs « parents », eux, demeureront silencieux. Évidemment, puisque ce sont des spectateurs. Le dispositif, avant même qu’un mot soit dit, est indubitablement efficace.

Sortir de la stigmatisation

Tellement efficace qu’on ne s’est pas rendu compte que, au milieu d’eux, il y a la comédienne. Ou, plutôt, « la mère du Burt ». Elle aussi attend le prof. Mais comme elle ne sait pas attendre, ni se faire discrète comme le souhaiterait son fils qui trouve qu’elle rit toujours trop fort, elle se met à parler. Parce qu’elle en a besoin, aussi. Elle profite de ce retard du prof pour nous raconter son histoire. Celle d’une mère et de son fils, entre dérive et espoir. Celle de l’exclusion sociale. Celle d’une jeune femme devenue maman trop tôt, et qui tente avec humour, rage et maladresse de sortir de la petite case dans laquelle les services sociaux veulent la mettre. D’acquérir les codes qu’elle ne connaît ni ne maîtrise pour sortir de la stigmatisation, de l’absence de futur. De réparer, aussi, les blessures laissées par une grossesse vécue seule et un homme idéal qui a mis les voiles aussi vite qu’il l’a mise enceinte. Et de rêver, enfin, un avenir meilleur pour son fils, qu’elle veut star de cinéma. S’appuyant sur le silence de ceux qui la regardent, elle s’excuse, s’explique puis se raconte. Comme une odyssée des mots, en un accouchement douloureux mais libérateur.

Dans le rôle de la mère, Linda Chaïb. Époustouflante. Une comédienne lumineuse, d’une générosité infaillible. Humour, émotion, violence, tout est là, tout est juste, et, surtout, la disparition de la comédienne se fait totale derrière son personnage. Elle s’efface totalement et, par là même, signe une performance éclatante. Beau paradoxe. Lorsqu’elle revient saluer, jeune femme frêle et délicate au beau regard, on peine à croire que la « mère du Burt », avec toutes ses blessures, toutes ses fêlures, toute sa détresse, toute son ampleur, a été portée par cette silhouette discrète. Au service : voilà, elle est au service.

Tout comme l’est la mise en scène de François Rancillac. Son choix d’un espace en forme de salle de classe vient du projet de jouer ce spectacle dans les classes mêmes pour un public adolescent. Il n’en fait pas des tonnes, Rancillac. Il va à l’essentiel. Pas de transformation magique des bureaux en carousel ou du tableau noir en marionnette géante. Non, le réel demeure cette salle, à l’image du réel de cette femme. Parce que son jogging à elle ne va pas se transformer non plus en robe de Cendrillon. Parce que le poids qu’elle porte appelle la sobriété et non l’artifice.

Ce poids, le poids qu’elle nous a partagé, c’est nous qui allons le porter à sa suite. Elle, elle est partie. Et puis, après tout, ce n’était qu’un personnage. Mais les questions, elles, demeurent. Ces vraies questions, remises à leur juste place, et qui basculent de l’histoire individuelle vers le grand bazar collectif. Zoom, avec la simplicité lucide de son personnage, nous force à écouter l’une de celles que l’on a en général ni l’énergie, ni le temps, ni l’envie d’entendre, préférant alors substituer à une vraie rencontre des clichés rassurants. Ce spectacle ne rassure pas. Il regarde. La regarde, nous regarde, sans complaisance, sans misérabilisme. Avec une humanité radicale qui remet les choses à plat. Nous faisant réaliser que, si les réponses n’existent peut-être pas, il ne faut jamais arrêter de poser les questions. 

Élise Noiraud


Zoom, de Gilles Granouillet

Lansman éditeur

Coproduction Théâtre de Sartrouville-C.D.N. (Odyssées en Yvelines), La Comédie de Saint-Étienne-C.D.N.

Mise en scène : François Rancillac

Assistant à la mise en scène : Yann de Graval

Avec : Linda Chaïb

Photo : © J.‑M. Lobbe

Théâtre de l’Aquarium • la Cartoucherie • route du Champ‑de‑Manœuvre • 75012 Paris

Réservations : 01 43 74 99 61

Du 23 septembre au 25 octobre 2009, à 20 h 30 du mercredi au samedi, le samedi et le dimanche à 16 heures

Durée : 1 heure

20 € | 14 € | 12 € | 10 €

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